Les deux cultures
Septembre 2000. Vingt ans. Mon âge en cette rentrée où l’ENS Lyon (le privilège du patronyme revenant aux premiers déménagés) voit débarquer l’ENS Lettres et Sciences humaines, non à sa porte mais de l’autre côté de l’avenue Debourg (séparation géographique ô combien symbolique). Élu président du Bureau des Élèves quelques mois auparavant, le privilège me revenait en partie, ainsi qu’à mes compagnons de bureau, de commencer à tisser des liens avec la nouvelle venue.
Une tâche loin d’être évidente, tant les difficultés se manifestèrent rapidement. Ici, la crainte pour certains « lettreux » de se faire annexer manu militari par des hordes de « scienteux » occupant le territoire lyonnais depuis plus d’une décennie. Là, une vie de campus balbutiante et un éclatement associatif peu lisible pour le mode de fonctionnement centralisé qui était alors le nôtre. Sans réelle surprise, les premières années furent plutôt avares en événements rassembleurs entre les deux Écoles. Toutefois, mon orgueil d’ancien se plaît volontiers à croire, encore maintenant, que c’est bien au sein de notre population étudiante que la greffe commença à prendre. Gageons que les soirées du jeudi n’y furent pas totalement étrangères.
Le théâtre Kantor se révéla être un second cheval de Troie en ce qui me concerne. La pratique théâtrale existait déjà « chez nous » mais sans réel endroit dédié à la pratique. Et voici que sortait à peine de terre un lieu à l’image des ambitions artistiques de la nouvelle École et de son association culturelle En Scène ! qui pouvait y produire ses projets. Or, si le jeu ou la mise en scène obtenaient alors naturellement les faveurs de l’étudiant littéraire, il en était tout autrement de la technique, et notamment de la conception lumière. Par l’entremise de rencontres qui devinrent des amitiés, mes connaissances en physique trouvèrent alors un écrin où exprimer leur penchant créatif. Les années qui ont suivi furent autant d’occasions de rapprochements culturels, intellectuels, humains avec nombre d’étudiants, de chercheurs et de personnels qui avaient su faire de ce chantier un temps boueux un lieu de vie.
Nous pensions au début que tout nous opposerait irrémédiablement. Force est de reconnaître que cela m’a complété. Vingt ans plus tard, les liens demeurent.
Matthieu LEFRANÇOIS (99 S LY), vice-président de l’association,
3 novembre 2020