En ce lundi 26 avril 2010, le printemps a envahi le campus du CEA/Saclay et les arbres jouent une symphonie en rose et vert tendre. Bernard Bigot (1969 S SC) me reçoit dans son lumineux bureau au siège central du CEA (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives). Malheureusement, en cette période d’examens, les élèves de l’ENS de Lyon qui avaient envisagé de participer à l’entretien n’ont pu se dégager de leurs obligations scolaires.

 

Danielle Alloin : Que vous a apporté votre passage par l’ENS de Saint-Cloud ?

Bernard Bigot : Tout ce que je suis aujourd’hui !

Voilà une réponse simple et claire ! Bernard Bigot explique qu’il est issu d’un milieu modeste. Son père, autodidacte, était à la tête d’une petite PME de distribution de combustibles. Bien sûr, chez lui, la réussite scolaire était valorisée, mais on n’y était pas familier avec l’enseignement supérieur ni les filières des Grandes Écoles. Très bon élève, passionné de sciences, ses professeurs au lycée Descartes à Tours le stimulent et l’orientent vers les classes préparatoires. Il pense à une carrière d’ingénieur mais le hasard et le jeu des concours font qu’il se retrouve à l’ENS de Saint-Cloud. C’est l’époque où l’ascenseur social des ENS joue encore à plein.

Puis tout s’enchaîne : études supérieures, forte attirance pour la chimie et la recherche, tissage d’un réseau de relations. Après une thèse de troisième cycle en chimie puis l’agrégation, ses obligations militaires amènent Bernard Bigot à partir dix-huit mois en tant que coopérant enseignant-chercheur dans un établissement d’études supérieures à Lima au Pérou. Dans le cadre d’une collaboration avec le CEA/Grenoble, il y travaille sur la résonance magnétique.

En 1975, il participe à une école d’été sur la catalyse à l’université Cornell (Ithaca, États-Unis). De retour à l’ENS de Saint-Cloud, il prend conscience de l’exiguïté des locaux et du fait que de telles conditions matérielles sont inadaptées pour l’implantation de groupes de recherche de niveau international. Le milieu des années 1970 est en effet l’époque où nos ENS, Fontenay-aux-Roses et Saint-Cloud, encouragent les élèves à se tourner vers l’enseignement supérieur et la recherche et non plus vers les seuls enseignements dans le secondaire ou en classes préparatoires. Passionné par la recherche, Bernard Bigot s’intéresse de près à cette évolution. Dans les milieux politiques, on parle déjà, en 1976, de relocalisation, avant même que la question ait été abordée avec les directeurs des ENS !

Après une thèse d’État suivie d’un séjour post-doctoral à l’université de Purdue (Indiana, États-Unis), Bernard Bigot devient maître de conférences à l’ENS de Saint-Cloud en 1981 et met en place un groupe de recherche sur la modélisation quantique et à l’aide de la thermodynamique statistique de la catalyse (avec option explicite de transfert dans une ENS relocalisée). 

En 1983, la décision du transfert des ENS à Lyon est confirmée. Dans un premier temps, seules les sections scientifiques sont concernées. Guy Aubert prépare cette relocalisation en tant qu’administrateur provisoire et deviendra le premier directeur de la nouvelle structure lyonnaise. A l’été 1987, l’ENS de Lyon (sciences) ouvre ses portes. Bernard Bigot en est le directeur adjoint, chargé des études et du concours. Il y installe son équipe de recherche, y poursuit ses tâches d’enseignant et y fonde un laboratoire au sein de l’Institut de recherche sur la catalyse du CNRS. Soucieux de développer des liens avec le milieu universitaire lyonnais, il délivre également un enseignement à l’université de Lyon. Sur un plan personnel, il s’installe dans la région lyonnaise.

D. A. : Quelle était l’ambiance à l’ENS de Saint-Cloud lors de vos études de 1969 à 1973 ?

B. B. : Un peu une ambiance de révolution permanente ! Il faut dire que les évènements de 1968 étaient tout frais. De plus, la proximité de l’ENS de Saint-Cloud avec l’usine Renault de Boulogne-Billancourt avait conduit à une grande activité politique parmi les élèves de l’ENS : remise en question chez les sympathisants communistes, développement du courant maoïste, etc. Oui, la politique occupait alors les esprits.

Cependant, l’atmosphère générale qui dominait était celle d’une sincère camaraderie et d’une grande cordialité. Chacun reconnaissait la chance d’être dans cette ENS, la possibilité d’y poursuivre des études solides et d’y établir un réseau de relations amicales, ainsi que l’occasion d’y conforter une ambition personnelle.

Que l’on soit associé ou non aux intenses débats politiques du moment, chacun avait le sentiment et le désir de contribuer au développement socio-économique du pays (par le biais de la science, entre autres). L’engagement décennal poussait à cela.

D. A. : Comment et à quel moment s’est produit le basculement entre vos activités à dominante recherche / enseignement et vos activités à dominante gestion administration ?

B. B. : En fait, j’ai conservé le plus longtemps possible, jusqu’en 2002, l’encadrement scientifique de mon équipe de recherche et mes activités d’enseignement. Mais, peu à peu, les responsabilités de gestion sont devenues plus lourdes et m’en ont éloigné. Je n’ai en aucune circonstance recherché les responsabilités de gestion de la recherche : on est chaque fois venu me solliciter de façon totalement inattendue, et j’ai accepté, mais en essayant de préserver autant que possible la poursuite de mes activités universitaires.

En 1993, le ministère de l’enseignement supérieur et le ministère de la recherche sont réunis en une seule entité, le MESR. Bernard Bigot est alors appelé pour y exercer d’abord la fonction de chef de la Mission scientifique et technique, puis de directeur général de la recherche et de la technologue, fonctions qu’il exerce de 1993 à 1997.

Les changements politiques qui se produisent en 1997 le conduisent à renoncer à ce poste, puisqu’il est envisagé de séparer à nouveau les aspects recherche des aspects technologie. Ainsi, Bernard Bigot retourne au 1er janvier 1998 à ses activités d’enseignant-chercheur à l’ENS de Lyon (sciences) où il prend le poste de directeur adjoint chargé de la recherche, ainsi que la responsabilité de direction de l’Institut de recherche sur la catalyse. Puis de 2000 à 2002, il assume la fonction de directeur de l’ENS de Lyon (sciences).

En 2002, il est appelé comme directeur du cabinet de la ministre en charge de la recherche et des nouvelles technologies. Il démissionne alors de son poste de directeur de l’ENS de Lyon (sciences).

Puis il est nommé haut-commissaire au CEA en juillet 2003 et, en janvier 2009, devient administrateur général du CEA, fonction qu’il exerce depuis cette date.

D. A. : Que pensez-vous de la nouvelle ENS de Lyon créée le 1er janvier 2010 ?

B. B. : J’en suis extrêmement satisfait : c’est l’accomplissement d’une vision que je nourrissais dès la fin des années 1970, la prise en compte d’une indispensable dimension européenne et mondiale pour répondre à la vocation d’une ENS moderne. Que tous les champs de la connaissance soient réunis dans une même structure est une chose excellente.

Propos recueillis par Danielle Alloin (1965 S FT), Saclay, le 27 avril 2010

 

Ce témoignage a été initialement publié dans le Bulletin de l’Association des élèves et anciens élèves des ENS de Lyon, Fontenay, Saint-Cloud, n°1, 2010, p. 49-51.

[Astrophysicienne, Danielle Alloin est directrice de recherche émérite au CNRS (CEA, Saclay) et fut Director of Science at the European Southern Observatory (ESO) au Chili. Ancienne administratrice de l’association des élèves et anciens élèves des ENS de Lyon, Fontenay-aux-Roses et Saint-Cloud, elle fut la première responsable de la rubrique « Mémoires des ENS » et y a témoigné dans le Bulletin de l’association, n°1, 2014, p. 19-23 (https://alumni.ens-lyon.fr/page/ens-fontenay-aux-roses-les-annees-1965-1969-et-un-).]