Retour aux actualités
Article suivant
Article précédent

Disparition de Marc Kravetz, Prix Albert-Londres 1980

Carnet

-

01/11/2022

Journaliste, grand reporter, éditorialiste et chroniqueur, Marc Kravetz (ENS de Saint-Cloud, 1961) a eu une longue carrière. Il a couvert pour Libération la plupart des conflits du Moyen-Orient : guerre du Liban, conflit israélo-palestinien, Révolution iranienne (1979). Il a obtenu le 42e Prix Albert-Londres en 1980 notamment pour ses reportages sur l’Iran nourris par les six séjours qu’il y fit entre 1979 et 1981, et qui lui permirent de rencontrer la plupart des dignitaires civils et religieux. Ce fut le premier Prix Albert-Londres obtenu par les journalistes de ce quotidien et le premier aussi décerné à un élève de l’ENS de Saint-Cloud. Cette distinction lui offrit l’occasion d’une sorte de réconciliation avec son père, secrétaire de mairie au Blanc-Mesnil et militant communiste, irrité par son choix de carrière. Jean Guisnel rapporte en effet dans Libération (30 octobre 2022) qu’en 1988 Marc Kravetz lui avait confié : « Mon père voulait que je fasse des études à tout prix. C’était sa revanche à lui. Le prix Albert-Londres, ce fut la fin du deuil de mon père sur mon agrégation. La preuve d’une reconnaissance. Il aura fallu attendre tout ce temps pour qu’il me pardonne de n’avoir pas passé le concours. »

Après ses études à l'École normale d'instituteurs, il prépare le concours de l'ENS au lycée Henri-IV grâce à une bourse. Sa scolarité à l’ENS de Saint-Cloud à compter de 1961 a surtout été marquée par ses engagements politiques à l’Union des étudiants communistes (UEC). Il figure parmi les militants du Front universitaire antifasciste (FUA). Il s’implique dans l’Union nationale des étudiants de France (UNEF) où il est, quelques mois, secrétaire général du bureau national. Il en démissionne en janvier 1965 mais reste actif dans le mouvement étudiant jusqu’en 1968 année où il collabore au journal Action et publie L'insurrection étudiante, 2-13 mai 1968, ensemble critique et documentaire (UGE, 10/18) en collaboration avec Raymond Bellour et Annette Karsenty. Après Action, il collabore aux Cahiers de mai puis, comme d’autres collaborateurs des Cahiers, est appelé à Libération par Serge July en 1974. A cette date, il a fini d'enseigner et est libéré de son engagement envers l'État.

Marc Kravetz participe alors à ce qu’il appelle le « brouillon des origines » du quotidien fondé en 1973. De ce moment, le journalisme représenta toute sa vie et, comme pour d’autres, la forme moderne de la littérature. Du reste, il crée la rubrique « Livres » de Libération à l’automne 1975. Il est aussi un temps chef du service étranger et éditorialiste. Il reste vingt ans à la rédaction sauf pendant l’épisode des deux ans au Matin de Paris. Une vocation ? Il a raconté avec humour dans « Éloge du grand reportage » qu’enfant, en banlieue parisienne, il ne connaissait pas de journalistes, il n’avait pas lu Tintin et qu’il avait ignoré jusqu’à un âge avancé, les aventures de Rouletabille, mais qu’il avait « la mauvaise habitude de lire toute chose imprimée à portée de regard : les journaux, les magazines qui traînaient ici ou là avec une préférence marquée pour les pages ou les fragments de page qui servaient à emballer les provisions du marché. » Il lisait, découpait et fabriquait un journal relié par des fils de laine qui « dépassait rarement un exemplaire unique mais l’objet existait. » 

Il quitte Libération en 1996 (il est remercié) après l’échec de l’éphémère Libération-Le Magazine du samedi qu’on lui avait confié. De 1997 à 2000, il dirige Air France magazine avec Jean Bayle. Après ce bref épisode qu’on dira de communication d’entreprise, sa carrière continue à France Culture de 2003 à 2011. Il y tient pendant plusieurs années une chronique, « Le portrait du jour », dans les Matins de France Culture consacrée à « un personnage atypique dans l'actualité internationale ». Il participe aussi entre janvier et juillet 2011 à la nouvelle émission Cultures Monde, diffusée à 11 heures du lundi au vendredi en proposant « L’histoire du jour » (podcasts disponibles sur le site de Radio France).

Enfin, Marc Kravetz était un auteur et un préfacier. Le livre qui l’a fait connaître est Irano nox, compilation de ses articles sur la révolution iranienne (Grasset, 1982). Il a également publié Armand Gatti (Éditions Jean-Michel Place, 2003) ; Obama : petite encyclopédie (Dalloz, 2008) où il dresse un bilan des cent premiers jours ; Portraits d’animaux, 50 histoires pour un bestiaire (Éditions du Sonneur, 2009). Il a réuni ses chroniques de France Culture sous le titre Portraits du jour : 150 histoires pour un tour du monde (2008). En 2004, Il préface Une histoire politique du journalisme, XIXe-XXe siècles, de Géraldine Muhlmann (ENS-PSL, 1992). Il postface Une Européenne au pays des Kurdes d’Hélène Krulich (2011). Grand admirateur du New Yorker, les yeux souvent tournés au-delà des frontières, Marc Kravetz savait apprécier la qualité de la langue des grands journalistes notamment états-uniens. Il se fit spécialiste de Martha Gellhorn et escorta d’un texte trois de ses publications en traduction française aux éditions du Sonneur : Mes saisons en enfer, voyages cauchemardesques (2015), J’ai vu la misère, récits d’une Amérique en crise (préface de H. G. Wells, 2017) et Le Monde sur le vif  (2019). 

Marc Kravetz était membre du jury du Prix Albert-Londres et se disait journaliste indépendant.

Sauf celle de Jean Guisnel, les citations de Marc Kravetz sont extraites de son remarquable « Éloge du grand reportage » dans Grand reportage. Les héritiers d’Albert Londres, Éditions Florent Massot, 2001.

Voir son portrait radiophonique (France Culture, 2011) : https://www.dailymotion.com/video/xgdvo4 

Lire l'article de Christophe Ayad, « Le grand reporter Marc Kravetz est mort », Le Monde du 31 octobre 2022 : https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2022/10/31/le-grand-reporter-marc-kravetz-est-mort_6148020_3382.html

Lire des témoignages de l'Adieu à Marc Kravetz : https://prix-albert-londres.scam.fr/

Illustration : Marc Kravetz animant une conférence à Paris (Salon du livre), 16 mars 2012. Photo Thesupermat, CC-BY-SA

J'aime
970 vues Visites
Partager sur
  • Journalisme
  • Grand reportage
  • ENS de Saint-Cloud
Retours aux actualités

Commentaires0

Vous n'avez pas les droits pour lire ou ajouter un commentaire.

Articles suggérés

Portraits et témoignages

Mémoires des ENS : hommage à Jean-Louis Biget

photo de profil d'un membre

Christine de BUZON

28 novembre

Carnet

Disparition de Bernard Bigot (1969 chimie Saint-Cloud)

photo de profil d'un membre

Christine de BUZON

16 mai

2

Publications

Ce que l’on sait de l’éruption du volcan Hunga Tonga – Hunga Ha’apai aux Tonga, par Pierre Thomas

MC

Marion CLÉGUER

03 mars

1