Château de Blois, mai 2008. Photo Gabrielle de Saint-Venant. Droits réservés.

Entrée à l’École en lettres classiques, titulaire d’une maîtrise en littérature latine et d’un DEA (Rome), docteure en architecture romaine après un séjour à la Casa de Velázquez, Élisabeth Latrémolière a enseigné deux ans tout en commençant des études d’histoire de l’art. Depuis 2023, elle est conservatrice en cheffe du patrimoine honoraire et directrice honoraire du château royal et des musées de Blois. Mille objets sont présentés en permanence au château, dont plus de trois-cents œuvres dans le musée des Beaux-arts créé par la ville en 1859 et installé dans l’aile Louis XII du château en 1869. Elisabeth Latrémolière a refondu la scénographie du château en 2012, créé un jardin en 2019 et organisé des expositions (voir plus bas).

Son CV par elle-même : Professeure de lettres classiques (1981-1983). Conservatrice du musée et du site archéologique de Thésée-la-Romaine, Loir-et-Cher (1987-2000). Chevalier des Arts et des Lettres (1998). Conservatrice adjointe des musées de Blois (2000-2005). Conservatrice en cheffe et directrice du château et des musées de Blois (2005-2023)

J'ai passé ma petite enfance à Paris où je suis née, puis j'ai grandi en région parisienne, plus exactement en Seine-Saint-Denis, où ma mère dirigeait un collège en zone dite déjà sensible. Mes premières images du monde de l'enseignement se sont formées à travers son expérience et ses récits parfois dramatiques, ou simplement pittoresques ; ils n'auraient pas dû m'inciter à la carrière d'enseignante et, effectivement, la suite des événements confirmera que ce fut un choix par défaut.

C'est donc au lycée Paul Éluard de Saint-Denis que j'ai suivi l'intégralité de mon cursus d'études secondaires ; l'établissement était alors assez réputé et je dois, comme d'autres, à certains enseignants particulièrement investis conseils et soutiens pour mon orientation professionnelle. C'est d'eux que je me souviens précisément ; leur visage et leur nom resteront dans ma mémoire : d'abord mon professeur d'histoire géographie de première et terminale, Lucien Klausner, qui avait inscrit les élèves qui le souhaitaient à un programme de visites des musées parisiens sur des thématiques en lien avec les périodes d'histoire étudiées en classe. Cette expérience aura en effet une influence déterminante sur mes décisions en matière de carrière plus tard ; et je citerais aussi le professeur de lettres, Alain Cancès, qui m'incita à présenter un dossier d'admission en classes préparatoires aux grandes écoles et me soutint dans cette voie, qui était alors, pour les littéraires de bon niveau, une voie certes royale, mais un peu obligée, faute d'autres options. Ce fut aussi pour ma mère sans doute la revanche d'une espérance déçue, elle qui était entrée à « HEC jeunes filles » dans les années cinquante, à une époque où celle-ci était un sous-produit de HEC, grande école réservée aux garçons, et qui donc n'avait pas pu avoir la carrière souhaitée dans le monde de l'entreprise.

Les classes préparatoires furent un moment d'exception dans mes études, en particulier en matière d'apprentissages, du savoir rédiger -sur n'importe quel sujet – à la constitution d'un plan, lesquels vont m'être indispensables par la suite. J'avais intégré une classe préparatoire du lycée Honoré de Balzac dans le 17e arrondissement de Paris, loin des lycées prestigieux du centre de la capitale que l'on me disait alors inaccessibles pour une élève de banlieue Nord... Pour autant il n'y avait dans ce lycée que deux sections littéraires, où nous étions très entourés, je dirais même assistés, celle de lettres et celle de philosophie, très réputée, qui m'a permis de suivre les cours des meilleurs professeurs en la matière, en particulier Pierre Brunet en lettres, dont l‘entraînement à la réalisation d‘un plan me servira en de nombreuses circonstances professionnelles, et André Lécrivain en philosophie ; l'enseignement de ce dernier a évidemment aidé à la réussite au concours de la non spécialiste que j'étais. Mon succès au concours advint en 1977 après avoir doublé ma classe de khâgne, alors qu'un résultat honorable de sous-admissible la première année m'avait déjà donné beaucoup d'espoir. C'est en option lettres classiques que j'ai présenté le concours ; pourtant mon cœur penchait vers l'histoire et la géographie, mais une professeure de khâgne me le déconseilla pour cause de risque - dit-elle alors - de « suicide de ma carrière » : on verra que la suite des événements lui a donné tort. Le choix des lettres classiques fut pour moi intellectuel, mais il restait le latin et sa civilisation qui m'enchantait depuis mes années de lycée (j'avais alors débuté le latin en 6e). Ces concours réputés difficiles à juste titre sont pourtant une chance : par leur pluridisciplinarité d'abord, qui m'a donné un socle de connaissances qui se révéla essentiel plus tard, par la confrontation enfin à des épreuves orales ouvertes (dites de « culture générale »), constituant un formidable espace de formation pour la vie professionnelle.

En tout cas, si je comblais les espérances familiales, surtout du côté maternel, je ne me voyais pas vraiment en future universitaire ; à vrai dire je pensais surtout que tout serait désormais plus facile, ce qui n'était pas un jugement raisonnable. Mais ces années allaient être décisives. On nous laissait en effet une forme de liberté pour décider de notre carrière, décision pas toujours simple, et je continuais de penser que la seule issue était l'enseignement même si j'en étais de moins en moins convaincue.

De l'entrée à l'ENS de Fontenay, il me reste quelques souvenirs précis : la déclamation des résultats par la directrice d'alors – Jacqueline Bonnamour, juchée sur la table basse de la salle d'accueil de l'École, puis le passage presque immédiat devant la responsable administrative de l'École auprès de laquelle nous déclinions notre CV scolaire, ce qui provoqua pour mon cas une réaction de stupeur à son énoncé : en effet suivant les quelques condisciples épelant chacune le nom d'un lycée parisien renommé, la simple désignation du lycée de Saint-Denis lui fit lever la tête et suspendre le mouvement du stylo puis elle me demanda de bien me répéter ...

Ainsi débutèrent mes années d’ENS, pas totalement à Fontenay-aux-Roses même, car, effrayée par les conditions spartiates voire vétustes des logements, je n'étais pas interne, ce que j'ai regretté plus tard ; être externe n'était pas un bon moyen pour s'intégrer. J'en ai retenu essentiellement les nombreux et excellents cours que nous devions suivre à l'extérieur en Sorbonne, hormis les quelques cours et conférences complémentaires sur site où je retrouvais mes camarades de promotion. Une exception notable se produisit lors d'un voyage à Pompéi en octobre 1979, séjour auquel participaient toutes les latinistes, mené et organisé par notre responsable Mme Brossard, enseignante de latin : ma passion pour le patrimoine s'y confirma.

Les autres temps mémorables de l'École furent je l'avoue, les soirées de fin d'année sous la présidence de la directrice en tenue de soirée, des moments suspendus dans le temps qui paraissent aujourd'hui terriblement surannés mais si forts en matière de symbole d'appartenance au groupe.

Je crois faire ainsi partie de ces élèves qui ont préféré les années de classes préparatoires, si exaltantes, aux années d’École où l'on passait et circulait sans vraiment se rencontrer. Des bâtiments de Fontenay, je garde le sentiment de lieux vides, sans âme. Pour autant, inscrite en section lettres classiques, option philologie comme le souhaitait l'École, les durs apprentissages de grammaire, étaient conformes à mes goûts pour une certaine rigueur qui plus tard s'exprima dans les tâches administratives que réclamait tout poste de responsabilité, même dans le domaine culturel. Ravie finalement d'échapper à la littérature, j'ai peu à peu, sans même en prendre conscience, senti se révéler mon goût pour le dossier, voire la note de synthèse et la construction d'une note argumentaire.

Cependant, quelque peu démotivée par les enseignements de lettres classiques et rebutée par les terribles épreuves de thème, je ne me suis pas représentée à l'agrégation après y avoir échoué une première fois. Je suis alors enfin parvenue à me lancer dans mes amours de jeunesse et d'étude, non sans avoir passé deux années d'enseignement grâce au grade obtenu par l'ENS, en partie dans des collèges difficiles de Seine-Saint-Denis, ce qui évidemment ne fit que me convaincre de changer de voie. Et dans cette nouvelle aventure professionnelle, la carte ENS joua en ma faveur, autant bien sûr que les compétences méthodologiques acquises, la chance aussi sans doute et la conviction que j'avais trouvé le chemin de l'épanouissement intellectuel, une passion enfin assumée en quelque sorte.

Il se produisit alors ce que j'appelle ma « grande bifurcation », mais sans le parcours d'études antérieur, des classes préparatoires à l'École, je n'y aurais pas songé et je n'aurais même pas osé le tenter ; on se sent armé de compétences multiples et intuitivement on a le sentiment de faire partie d'une communauté de pensée qui vous soutient. J'entame donc dès la sortie de l'École, en restant à mi-temps sur ces deux premières – et seules ! - années d'enseignement proprement dit une formation complémentaire en histoire et civilisation de l'Antiquité romaine : DEA à Rome, recherches au sein de la Casa Velázquez à Madrid pour une thèse sur les places capitolines de l'Espagne romaine, et tout cela en vue de travailler dans les musées. Si ce n'était pas encore bien clair pour moi de définir le contenu des métiers des musées, j'aimais les lieux, leurs fonctionnalités, si proches de l'enseignement ; et pour ce faire, j'entame un troisième cycle de l'École du Louvre auquel j’accède sans difficulté grâce à mon cursus de l’ENS.

S'ensuivent des événements qui pourraient ne devoir leur advenue qu'au hasard ou à la chance : d'abord un stage, puis l'inscription sur une liste d'aptitude à la fonction de conservateur (on est presque dix ans avant la création de l'Institut national du patrimoine) et l'obtention d'un poste au château de Blois où j'ai fait quasiment toute ma carrière, dans des postes divers, il est vrai, avec un moment sur un site archéologique de la région où j'ai créé le musée. C'est par un pur hasard que j'ai quitté la région parisienne, puisque j'avais appelé en suivant l'ordre alphabétique les musées autorisés à recevoir des stagiaires préparant le métier de conservateur, et que Blois (le château a le statut de musée de France) m'a donné immédiatement une réponse positive.

Il s'avère que les apprentissages et rencontres de mon parcours m'ont donné l'énergie d'oser, oser abandonner l'enseignement proprement dit et m'engager dans le monde des musées, où le goût du patrimoine et de la transmission se conjuguent au service de fonctions très polyvalentes. L'ouverture d'esprit acquise m'a permis de travailler avec succès à la médiation des œuvres et du monument, au contact avec le public, aux multiples actions de diffusion et de rayonnement, en particulier de nombreuses expositions dans le cadre d'un métier particulièrement ouvert sur le monde extérieur, et pas seulement sur celui de l'Université.

La richesse de mes rencontres antérieures et la diversité des enseignements ont trouvé leur expression dans un métier où il s'agit de faire connaître, susciter l'intérêt pour l'art et l'histoire autant que se donner les moyens de produire des projets au service du partage des savoirs. Aujourd'hui encore, tout juste retraitée, j'ai repris des activités au sein des musées, mais mon adhésion à l'Association des élèves et anciens élèves, et surtout ma participation à la journée « Parcours et carrières » de 2015 se veut l'expression de ce que je dois à mon entrée à l'ENS, et je voudrais signifier aux étudiantes et étudiants que cela reste une chance qu'il faut savoir faire fructifier, et qu'il faut se risquer à sortir des chemins qui sembleraient tout tracés : on peut espérer que cela est plus aisé aujourd'hui que du temps de mes années d'études.

Élisabeth Blutstein, épouse Latrémolière (1977 L FT)
Conservatrice en cheffe du patrimoine honoraire, Blois, 21 avril 2024

Parmi ses publications et expositions :

Les places capitolines d’Espagne, Mélanges de la Casa de Velazquez, 1991, t. XXVII (1) https://www.persee.fr/doc/casa_0076-230x_1991_num_27_1_2576

(avec Cécile de Collasson) Nuances de Blois, photos de Manolo Chrétien, Privat, 2007, 127 p.

(avec Raphaël Baumard, Claire Poumès), Adrien Thibault, 1844-1918, Catalogue de l'exposition, Blois, Expo 41, 2011, Loir-et-Cher, Conseil Général, Plume d'éléphant, éd. 

(dir. avec Florent Quellier) Festins de la Renaissance, cuisine et trésors de la table, Somogy, 2012, 320 p.

(avec Caroline zum Kolk, Fabienne Ravoire et Maxence Hermant), Enfants de la Renaissance, exposition du 18 mai au 1er septembre 2019

(avec Pierre-Gilles Girault) Jardins de châteaux à la Renaissance (exposition, 5 juillet au 2 novembre 2014), château royal de Blois, catalogue dir. par É. Latrémolière. Paris, Gourcuff Gradenigo, 2014, 247 p.

(avec Morgane Lecareux) Le château royal de Blois, Paris, Éditions du Patrimoine-Centre des monuments nationaux, 2021, 63 p.

(avec Bruno Guignard) À la table du Château royal de Blois, Tours, Presses universitaires de Tours, 2022, 125 p.

La Renaissance des femmes : album (exposition au Château royal de Blois, 9 avril - 10 juillet 2022), commissariat général de l'exposition : É. Latrémolière ; commissariat scientifique : Sylvie Le Clech, Caroline Zum Kolk ; Blois, Château royal de Blois, 2022, 54 p.