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Quand l’École arrive à Lyon : la recherche


Quand l’École arrive à Lyon, elle est accueillie à bras fermés, il faut bien commencer par rappeler ça ! L’impression qu’on donne des sommes folles à une école pour l’élite alors que pas grand-chose n’est fait pour aider les grandes universités lyonnaises est très forte et les déclarations parfois un tantinet provocatrices de Sylvain Auroux, notre directeur, n’arrangent pas les choses en particulier quand il développe une métaphore footballistique qui nous présente comme une équipe de première division qui va à la rencontre d’équipes de National 2 voire 3 ! Les équipes présidentielles, en particulier à Lyon-2, ne sont pas ravies et le font savoir sans ambages : le président Bruno Gélas estime en particulier que vu notre potentiel de recherche nous sommes mal fondés à nous présenter comme des cadors. Et ce n’est pas faux si on considère que la recherche est essentiellement affaire de gros labos, en particulier d’UMR (unités mixtes de recherche) institutionnellement liées au CNRS. Bien sûr, on pourrait considérer d’autres façons d’envisager un potentiel de recherche, davantage lié aux travaux individuels ou de petits groupes qui collaborent, mais à ce moment-là de l’histoire de l’université c’est bien le gros qui est beau, pas le petit… La dérive qui n’a fait que s’accentuer depuis lors et aboutit aux diverses institutions dont le nom finit en -ex pour excellence a déjà commencé en 2000. Donc, à ce moment-là, puisque c’est déjà ça le critère, alors nous ne sommes pas vraiment en première division…

Nous ne sommes pas complètement démunis mais on peut dire que la seule équipe où l’intégration dans le tissu universitaire de la région concerne la philosophie et l’histoire des idées où le CERPHI (Centre d’études en rhétorique, philosophie et histoire des idées) de Fontenay s’est déjà allié avec finesse (eh oui, c’est Pierre-François Moreau), depuis Fontenay, à l’UMR s’occupant de l’âge classique au sens large (qui prendra le nom d’Institut d’histoire de la pensée classique) alors en tutelle principale à Saint-Étienne sous la direction d’Antony McKenna. Les deux autres équipes restent fondamentalement attachées à leurs histoires parisiennes ; ce sont les deux équipes de géographie qui marquent encore leurs différences genrées liées aux lieux de leur création et à une rivalité encore vive entre l’école des filles et celle des garçons. La philosophie politique contemporaine reste encore une annexe de Nanterre. Les linguistes qui viennent à Lyon sont peu nombreux et même si le passé du groupe de lexicologie de Saint-Cloud est glorieux et que la revue Mots en est un bel héritage, il n’y a pas franchement d’équipe locale. Pour les autres disciplines, on a des équipes d’accueil, vaillantes et productives mais, justement, bien petites !

La situation de l’École à Lyon change à partir du moment (2001) où la présidence de Lyon-2 est assumée par Gilbert Puech, un linguiste renommé qui s’entend bien, de ce fait, avec Sylvain, linguiste tout aussi renommé… Le vice-président recherche de Lyon 2 est le sociologue Yves Grafmeyer. Tous deux sont persuadés que la présence de l’École à Lyon est un atout pour l’université et va aider les sciences humaines et sociales (SHS) à se structurer et à jouer un rôle visible dans le paysage lyonnais (il y a déjà une structure commune de collaboration entre établissements, le Pôle universitaire lyonnais, qui va devenir le Pôle de recherche et d’enseignement supérieur – PRES de Lyon - à partir de 2007). Les repas raffinés du cuisinier de l’École, Luc Pawelak, et l’intercession de nos deux saints favoris, Saint-Joseph et Saint-Véran, vont jouer un rôle non négligeable dans « le processus d’union idéologique entre Lyon 2 et l’École » ; je ne sais pas si c’est la bonne expression, mais ça y ressemble ! En tout cas, on devient copains et on décide de travailler la main dans la main. Dans mon souvenir, ce moment d’amitié entre Lyon-2 et nous est une sorte d’unicum… Il ne se reproduira plus vraiment avec cette confiance réciproque, cette qualité dans les rapports et cette certitude que ce qui est bon pour l’un est bon pour l’autre. Avec les successeurs de Gilbert et d’Yves la méfiance va renaître, et l’opposition stérile entre « l’université de masse », forcément pauvre et vertueuse, et l’école des élites, forcément riche et repliée sur elle-même va revenir en force… Mais pour le moment voyons ce que ça donne du point de vue de la recherche, dont je m’occupe à l’école, comme chargé de mission à partir de mai 2003 puis comme directeur-adjoint chargé de la recherche du 1er septembre 2003 au 31 août 2006. L’idée simple c’est d’intégrer les équipes de recherche de l’ENS dans les UMR lyonnaises, dont la plupart ont Lyon-2 comme tutelle universitaire principale voire unique. La seule UMR lyonnaise qui soit alors en rattachement principal à Lyon-3 est la géographie, et il faut souligner que nous sommes aidés dans notre tâche par Jacques Bonnet, directeur de cette UMR puis vice-président de l'université Lyon-3. 

Ça coince parfois ! Quand on fait le point à la direction de l’École en 2005, on peut estimer que la politique de restructuration de la recherche à l’intérieur du site lyonnais est, sinon achevée, du moins bien avancée. Je cite le texte écrit à l’époque, retrouvé par Christine dans ses archives et écrit en dialecte administratif (vous pouvez en sauter la lecture si ça vous horripile, je résumerai après) :


Bilan de la politique de recherche de l’ENS LSH (2003-2005)

Le projet recherche du précédent quadriennal définissait une politique de structuration de la recherche à l’ENS LSH appuyée sur une politique de partenariat avec le CNRS, les universités SHS de Lyon et de Rhône-Alpes, des réseaux nationaux et internationaux. Elle définissait également des priorités de l’établissement pour cette structuration, une politique de recrutement des EC [enseignants-chercheurs] déterminée en fonction de la recherche ; des opérations de formation des élèves par la recherche (notamment les « laboratoires juniors ») et mettait en place des outils de soutien à la recherche et de valorisation-diffusion des savoirs SHS.

1. Partenariat 

1.1 Partenariat avec le CNRS

L’école a favorisé l’entrée de ses équipes et de ses EC dans des équipes CNRS : histoire (LARHRA), sociologie (GRS), économie (GATE), historiens de la philosophie (Institut d’histoire de la pensée classique-CERPHI) ; une partie des littéraires et des anglicistes (LIRE ou Institut d’histoire de la pensée classique-CERPHI), linguistes (ICAR). 

Par ailleurs, l’IAO a demandé son rattachement principal à l’ENS LSH au 1er janvier 2003. Au 1er janvier 2005, l’ENS LSH est devenue tutelle secondaire du laboratoire CIHAM (histoire médiévale), dans lequel sont entrés les hispanistes médiévistes et le professeur d’histoire médiévale de l’ENS LSH ; et le laboratoire Triangle a été créé avec pour tutelle principale l’ENS LSH et pour tutelle secondaire Lyon-2 et l’IEP ; dans Triangle, l’ENS LSH a fait entrer ses spécialistes de philosophie politique, les historiens de la pensée politique italienne, des spécialistes d’histoire politique de l’Allemagne et de la Russie. 

Les équipes de géographie restaient dans des UMR parisiennes (Géophile/Géocités ; BIOGEO) pendant la période de restructuration de la géographie du site lyonnais ; les historiens des théories linguistiques étaient rattachés à l’UMR HTL, Paris-7. 

Soit 11 UMR, dont 2 bi-sites (Paris/ENS LSH). Seules la JE [Jeune équipe] C2SO [Communication, culture et société] et l’EA [équipe d’accueil] Centre d’études poétiques étaient hors de ce dispositif de labellisation par le CNRS.

1.2 Partenariat avec les universités SHS de Lyon et de Rhône-Alpes

7e CPER : Le Contrat de Plan État-Région en cours avait prévu la somme de 10 MF pour impulser le développement de la recherche en SHS lors de l’implantation de l’ENS LSH en région. En liaison avec la délégation régionale à la recherche et à la technologie, six thèmes ont été sélectionnés : Constitution et valorisation de corpus, Éditions critiques, Approches culturelles et formelles des représentations, Géographie, Histoire et philosophie des sciences.

La mise en place des CPER a favorisé les rapprochements et l’insertion de l’ENS LSH dans la région RA [Rhône-Alpes] et en particulier à Lyon : la plupart des laboratoires de l’ENS LSH ont participé à ce processus. 

Poursuite de la structuration lyonnaise et régionale des équipes :

La restructuration régionale de la géographie est achevée et donnera lieu à un projet d’UMR regroupant les géographes de Lyon-3 (tutelle principale), Lyon-2, ENS LSH, INSA, ENTPE (et, sans doute Saint-Étienne).

La reconduction de la tutelle secondaire de l’UMR HTL n’est pas prévue, d’autant qu’une des fonctions de ce rattachement était de permettre le développement de l’histoire et de la philosophie des sciences qui semble en bonne voie avec l’hypothèse du Laboratoire d’étude du phénomène scientifique. 

Dans le cadre de la nécessaire collaboration entre établissements lyonnais (hypothèse de l’université de Lyon dont l’ENS LSH a été, d’emblée, un des quatre porteurs avec Lyon-1, Lyon-2 et l’ENSSciences), des équipes pluri-établissements seront demandées lors du prochain contrat : équipe de littérature contemporaine (EA Lyon-2 et ENS LSH) et Laboratoire d’étude du phénomène scientifique (EA Lyon-1, ENS LSH, INSA, IEP). 

Lors du dernier quadriennal, l’ENS LSH a obtenu une co-accréditation pour les écoles doctorales (ED). Après reconfiguration à mi-quadriennal, l’ENS LSH est cohabilitée avec ces ED :

- ED 446, école doctorale HSH, humanités et sciences humaines, directeurM. Bruno GELAS, Lyon 2, ENS LSH,

- ED 342, école doctorale SSD, sciences des sociétés et du droit,directrice Mme Claude-Isabelle BRELOT, Lyon 2, ENS LSH,

- ED 339, école doctorale ECOGEST, économie et gestion, directeur M. Claude PELLEGRIN, Lyon-2, ENS LSH.

- École doctorale sciences cognitives (Lyon-1, Lyon-2, ENS LSH)

Il est envisagé que l’école doctorale « Sciences des sociétés et du droit » soit également co-accréditée par Lyon-3 et devienne « École doctorale Sciences des sociétés » ; il est également envisagé qu’une école doctorale soit demandée pour la philosophie avec Lyon-3 et Grenoble-2.

L’intégration des EC et des équipes de l’ENS LSH dans des laboratoires lyonnais a facilité la mise en place, à la rentrée 2004, de 27 spécialités recherche du master de l’ENS LSH cohabilitées avec Lyon 2, Lyon 3 et alii.

 

En résumé, les équipes de l’ENS sont presque toutes intégrées dans des UMR CNRS-Lyon 2. Il ne restait que le Centre d’études poétiques de Jean-Marie Gleize (67 L SC) qui refusait de voir la justesse politique de la ligne politique d’assimilation au nom d’une « licence poétique » qu’on lui accordait bien volontiers et, au vrai, il n’avait sans doute pas tous les torts ! Mais laissons-là la poésie et revenons à la politique universitaire… Les géographes ont résisté comme de beaux diables mais le processus de fusion est bien entamé et se réalise peu après avec la création de l’UMR EVS (Environnement, ville, société). L’Institut d’Asie Orientale (IAO) a choisi l’école comme tutelle principale. Un laboratoire sur les études politiques et l’économie politique, Triangle, existe désormais, avec une définition large (action, discours, pensée politique et économique) de son champ de recherche… Tout cela non sans péripéties et difficultés, mais c’est fait ! On peut dire qu’à ce moment-là les SHS sont structurées sur Lyon, sur la base de « l’alliance » Lyon 2-ENS LSH mais avec la présence de Lyon-3 à l’occasion de la création de l’UMR de géographie. On note que ce travail sur la recherche va de pair avec la mise en place de masters recherche à la rentrée 2004, un autre aspect de l’intégration de l’école dans les SHS de Lyon ; mais, cet aspect, ce sera à Christine de Buzon, ma voisine de bureau de l’époque, de le traiter si elle le veut bien puisqu’elle était au premier chef responsable de ce dossier-là !

Cette structuration se modifie un peu par la suite, mais en gros, elle demeure telle quelle et fonctionne plutôt bien malgré les tensions qui réapparaissent régulièrement entre les établissements. Je pense d’ailleurs que si les SHS tiennent leur rang dans l’université lyonnaise c’est à la présence de ce fort potentiel de recherche que nous le devons. Au moment où j’ai commencé à écrire ces lignes, le projet d’université-cible remettait en cause son existence, dès lors que l’université Lyon-2 n’en faisait pas partie et les bonnes paroles sur les partenariats qu’on ne manquerait pas de mettre en fonction n’étaient pas pour me convaincre. Depuis, la résistance de l’université de Saint-Étienne, dont le CA a voté à une large majorité contre le projet de statuts de l’université cible, a fait arrêter, au moins pour le moment, ce projet. Si, de ce fait, il faut remettre l’ouvrage sur le métier, eh bien, que l’on tienne compte du potentiel SHS lyonnais, qu’on reparte de ce qui existe et qui a marché et marche. Il n’y aura pas de forte université lyonnaise sans les centres de recherche SHS, il n’y a pas de structuration des SHS sans Lyon 2 et l’IEP et sans ce qui reste de l’ENS LSH (les labos de Descartes, comme on dit maintenant). À bon entendeur salut !

 

Jean-Claude ZANCARINI (67 L SC),
professeur émérite d’études italiennes à l’ENS de Lyon (1988-2012),
directeur adjoint chargé de la recherche (2003-2006),
7 novembre 2020



Pour citer ce texte : Jean-Claude ZANCARINI, Quand l’École arrive à Lyon : la recherche, Bulletin de l’association des élèves et anciens élèves des ENS de Lyon, Fontenay, Saint-Cloud, n°2, 2020, p. 43-45.