Souvenirs d’un entre-deux
Le bruit de l’époque, pour nous qui avons commencé à Fontenay-aux-Roses et terminé à Lyon, c’est d’abord celui, sourd, des portes du TGV qui se ferment, gare de Lyon ou de Massy. On pouvait ensuite les revoir, nos TGV, se reposant sur le large pont de Jean Macé, lorsqu’à pied on passait dessous, et qu’on avait enfin l’impression d’être rendu. On entrait alors dans un chantier gigantesque, où se déroulait une fantastique course au béton, immeuble contre immeuble, rue contre rue – l’École ressemblait en ces mois au lapin des courses de lévrier, qui cavale en tête et entraîne derrière lui toute la meute.
Et nous, nous étions là dans ce moment excitant d’un bâtiment, celui de sa construction, où l'on peut cacher des secrets dans des recoins bientôt inaccessibles, des papiers, de petits trésors, dont on sait qu’ils seront découverts, s’ils le sont un jour, seulement lorsqu’il faudra casser, refaire, dans un ou deux siècles. Je crois me souvenir d’une ou deux de ces caches. Les éditions de l’ENS peuvent déjà anticiper un numéro, au XXIIIe siècle, sur les témoignages laissés par les étudiants de l’an 2000, et plus généralement sur ce qui nous faisait rire, à cette époque. Bien obligés, d’ailleurs, d’en passer par là pour laisser la trace d’un passage : si les élèves, les étudiants aiment creuser dans la pierre et le bois (micro-vandalisme de la transmission) leur nom, leurs initiales, un dessin ou quelques mots gravés à l’aide d’une pointe, comment faire, à Lyon, dans le béton et le lino ?
Reste enfin cette impression paradoxale, en quittant le 31 avenue Lombart à Fontenay pour le 15 parvis René Descartes et la rue Jean-Jaurès à Lyon, d’avoir quitté un espace provincial, au lent mouvement rampant, pour arriver dans un centre. D’un côté, Lombart, le chocolatier, élu au conseil municipal, trois mois maire de la ville à la fin du XIXe, si peu fameux un siècle plus tard qu’une lettre sur deux qu’on recevait à l’École l’imaginait de Lombardie en lui collant un -d final. De l’autre, Jaurès et Descartes, glorieux, capitaux, pris dans un répertoire si peu lyonnais, celui qui, partout en France, donne leurs noms aux universités, aux places et aux tours, comme pour nous inciter à jouer fort, à nous arracher à la terre de Gerland, à penser grand, loin.
Olivier COQ (99 L FC),
février 2021
Pour citer ce texte : Olivier COQ, Souvenirs d’un entre-deux, Bulletin de l’association des élèves et anciens élèves des ENS de Lyon, Fontenay, Saint-Cloud, n°1, 2021, p. 83. |