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Défricher


La proclamation des résultats du concours dans les jardins de Fontenay, sous l’œil joyeux des roses trémières, en juillet 2000, signait notre déménagement à Lyon, avec l’École. Pour moi qui n’avais jamais quitté le foyer familial, elle inaugurait dans un premier temps une forme de déchirement. Ce que je ne savais pas encore et que j’ai compris bien des années plus tard, c’est que cette migration vers la vaste friche de Gerland marquait les premiers pas d’une émancipation.

Enthousiastes, nous découvrions l’autonomie financière, si précieuse pour toute construction personnelle, alors que l’on entre, cahin-caha, dans l’âge prétendu adulte. Elle vint avec ce lot d’accidents qui accompagnent parfois la naïveté des premiers salaires, comme ce fut le cas pour cette camarade de promotion qui, ne pensant pas aux impôts, se trouva fort dépourvue quand l’avis fut venu. Je me rappelle pour ma part la joie teintée de culpabilité lors de l’achat de mes premiers livres hors de tout programme. Privilégiés, au terme de nos rudes années de classes préparatoires, nous l’étions, et il n’est pas certain que nous en ayons toutes et tous été conscients. Ce relatif confort financier nous éloignait d’une précarité qui gangrenait déjà les universités et qui n’a cessé de s’accentuer depuis.

L’École nous promettait surtout une émancipation intellectuelle. Très vite, nous nous plongions dans l’offre pléthorique des cours, sur le site de l’ENS LSH comme sur celui de l’ENS Sciences – avant que les noms prestigieux d’un philosophe ou d’un biologiste n’effacent au quotidien la froideur des acronymes. Nous bénéficiions d’une liberté nouvelle après nos années de préparation, quelque peu aride, du concours. Des langues exotiques aux cours d’histoire de l’art, nous puisions avec une gourmandise certaine dans le champ des possibles qui s’offrait à nous. Et je conserve, aujourd’hui encore, un goût d’insatisfaction en repensant à toutes ces langues que je n’ai pu mâcher, toutes ces matières que je n’ai pu explorer.

Les chemins que nous découvrions et que nous arpentions, sans même l’avoir anticipé, au gré des rencontres et des affichettes croisées dans les couloirs, en portèrent certains vers le théâtre ou vers le ciné-club. Malgré les déceptions qu’ont pu causer certains enseignements, subsiste en moi quelque tendresse pour ce microcosme dans lequel j’ai osé chanter, malgré ma timidité, au sein de ce petit groupe sans prétention, réuni par l’amour des musiques d’Europe de l’Est, qui s’est retrouvé à donner, deux années de suite, un concert lors de la traditionnelle Garden Party.

Cette école se construisait alors sur la friche de l’usine Mûre et nous offrait, somme toute, la possibilité d’explorer ces voies potentielles dont nous avions parfois rêvé ou auxquelles nous n’avions souvent pas même pensé.

Élise RAJCHENBACH (2000 L LSH), 30 octobre 2021

Élise Rajchenbach est maîtresse de conférences en littérature française de la Renaissance à l’université Jean Monnet de Saint-Étienne et membre junior de l’IUF (promotion 2021). Elle a notamment publié « Mais devant tous est le Lyon marchant » Construction littéraire d’un milieu éditorial et livres de poésie française à Lyon (1536–1551), Droz, 2016.

Pour citer ce texte : Élise RAJCHENBACH (00 L LSH), Défricher, Bulletin de l’association des élèves et anciens élèves des ENS de Lyon, Fontenay, Saint-Cloud, n°2, 2021, p. 62-63.