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L’ENS à Lyon ? Mon ENS à Lyon !


Hélène Miard-Delacroix. Photo Alain Mandel. Droits réservés.

Je le reconnais, il y avait sans aucun doute un fond de snobisme parisien dans ma réticence à l’idée de voir l’ENS des lettres et sciences humaines déménager à Lyon. Mais cette affaire m’a surtout posé, comme certainement à beaucoup d’autres de ma génération, un problème d’identité. Avant mon entrée à Fontenay en 1980 dans la dernière promotion strictement féminine, l’ENS avait été cette école inaccessible, installée au bord de Paris dans un lieu au nom fleuri – oui, les roses, c’était fait pour les filles -, et c’était un objet de désir absolu. Ses portes s’étaient ouvertes un jour irréel et ensoleillé de l’été 1980 et l’endroit était resté, pendant toute ma scolarité, malgré voire grâce à cet environnement vieillot, « l’École ». Je n’y avais connu que des cours lumineux et la réussite personnelle, enfin. Pour la préparation de l’agrégation, nous nous étions mêlées aux garçons de l’ENS de Saint-Cloud dans un mélange de légèreté et d’humour qui avait justifié que « l’École » ait pu devenir « Fontenay-Saint-Cloud » et, dans le même mouvement, un socle de mon identité. Aussi avais-je observé avec circonspection le déménagement à Lyon tandis que je m’étais installée comme maître de conférences à Paris-IV au début des années 1990. On ne disait alors pas « maîtresse » mais il était clair qu’une femme pouvait creuser son sillon et obtenir la reconnaissance de ses pairs. En 2003, l’ENS, entre-temps installée à Lyon, réapparut subitement sur mon horizon quand, alors que j’étais tout juste habilitée à diriger des recherches, on me suggéra de poser ma candidature à la succession de Gérard Raulet (69 L SC) sur LE poste de professeur en études germaniques.

Qu’il m’ait fallu conquérir une nouvelle fois l’accès à l’École, cette fois dans un concours de professeurs, rend l’histoire plaisante. C’est avec le recul que le parallélisme saute aux yeux. Cela ferait les ingrédients d’un film où, plus encore que le contraste entre les deux situations, c’est le contraste entre les lieux qui serait éblouissant. L’École à Lyon, l’ENS LSH, sûre d’elle sur son parvis ouvert, c’était la hauteur et la clarté du grand hall, la lumière partout, les tons boisés et clairs de la salle des conseils où j’ai donc convaincu. Quand je pris mes fonctions quelques semaines plus tard, j’étais en état d’apesanteur, flottant d’un émerveillement à l’autre, ne sachant que mentionner en premier entre l’espace, la luminosité, le théâtre Kantor, l’immensité de mon bureau, le grand jardin et les herbes folles où étaient posés les différents bâtiments, et aussi l’extrême gentillesse des personnels, l’ambiance studieuse mais légère, l’impression d’être à ma place. En réalité, ce que j’ai raconté à tous ceux qui voulaient m’entendre, cela a été la bibliothèque. L’époustouflante bibliothèque ouverte jusqu’à trois heures du matin. Pendant les cinq années où je suis restée sur ce poste de professeur, j’ai donc aussi beaucoup parcouru l’École la nuit. Le silence rassurant dans le bâtiment de mon bureau, les lumières du navire-bibliothèque dans la pénombre, l’absence complète de peur à me déplacer dans le campus jusqu’au bout de la nuit. Et puis il y a eu - bien sûr ! - les élèves, des filles et des garçons talentueux, certains modestes et d’autres moins. Certaines et certains ont continué la route longtemps avec moi et nous sommes toujours en compagnonnage. Mais à toutes et tous j’ai tenté, dans cet endroit inspirant, de transmettre le mélange d’extrême rigueur et d’enthousiasme impertinent qui est pour moi la marque des gens de l’École. C’est-à-dire de mon ENS, qui est à Lyon.

Hélène Miard-Delacroix (1980 L FT), 
professeure à l’ENS LSH de 2003 à 2008


Pour citer ce texte : Hélène MIARD-DELACROIX, L’ENS à Lyon ? Mon ENS à Lyon !, Bulletin de l’association des élèves et anciens élèves des ENS de Lyon, Fontenay, Saint-Cloud, n°2, 2021, p. 54.