Implantation à Lyon de l’ENS LSH (2000)
Sylvain Auroux a achevé son deuxième et dernier mandat de directeur en 2005[1]. Cette année-là, il a confié à Jacques Deschamps, son chef de cabinet, la rédaction d’un utile « mémo » intitulé « La délocalisation de l’ENS à Lyon : une histoire, une philosophie, une opération ». Très documenté et fort précis quant au calendrier et au financement de la délocalisation, il n’était pas destiné à être publié. Il est resté inédit jusqu’à la publication de larges extraits[2] en deux parties sous le titre « La refondation à Lyon de l’ENS de Fontenay/Saint-Cloud » dans le Bulletin en 2017 (n°1, p. 57-59 ; n°2, p. 30-41). Son introduction est un texte de 2000 dont le Bulletin n°1 de 2017 n’avait reproduit que les dernières lignes (p. 57). Le voici dans son intégralité.
Il s’agit d’une rénovation profonde, qui prend appui sur les réalités du monde moderne. Les grands problèmes que devra affronter notre société, dans les années à venir, concernent l’éducation et la transmission des savoirs, le travail, l’urbanisation, le fonctionnement des structures sociales et cognitives, la gestion des outils linguistiques, la créativité, etc. Ce sont des problèmes qui relèvent des sciences humaines. L’idée d’une formation générale prenant en compte ces spécificités et préparant des jeunes à affronter ces problèmes, comme chercheurs, comme enseignants, ou dans toute autre fonction utile à l’État, est porteuse d’avenir et doit être sérieusement construite.
Telle est la mission de l’ENS : former à très haut niveau des intellectuels et des praticiens aptes autant à transmettre des connaissances et à en produire, qu’à agir en contexte et à gérer des situations humaines complexes. Elle accomplit cette mission de formation par des cours transmettant les savoirs de façon discursive, par l’immersion au contact des laboratoires, par la pratique auprès des centres de ressources (documentation, informatique, édition, audiovisuel) ou au sein des associations d’élèves, notamment culturelles.
Les humanités ne sont pas un supplément d’âme. Elles ont toujours été profondément reliées à des technologies (que l’on songe aux langues, à l’aménagement du territoire, à la communication, à la création littéraire, etc.). Nous vivons aujourd’hui de profonds changements technologiques (recension des données, taille des corpus manipulés, communication, numérisation de l’image, etc.). Les sciences humaines d’aujourd’hui doivent prendre appui sur ce développement. Ce dernier est, au reste, la condition nouvelle qui rend possible sans arrière-pensée une installation en dehors de la région parisienne où se concentraient traditionnellement, près des bibliothèques et des grands établissements offrant des séminaires bien connus, les formations en lettres et sciences humaines.
Le décret de 1987 a parfaitement redéfini le rôle des ENS par rapport aux nouveaux intérêts de la politique éducative. Lors de la création des ENS de Fontenay-aux-Roses (1880) et de Saint-Cloud (1882), le problème à résoudre était celui de l’enseignement primaire ; en 1966 (alignement de toutes les ENS, définition par rapport à l’agrégation), il était devenu celui de l’enseignement secondaire ; en 1987 (fondation des quatre ENS actuelles), l’enjeu était clairement la croissance de l’enseignement supérieur. A chaque fois, les ENS ont servi à l’État pour impulser une politique nationale. On peut envisager que la reconstruction de l’École permette d’aborder franchement la question et poser, dès maintenant, trois axes :
- recruter et redistribuer sur tout le territoire des élèves sélectionnés en petite quantité et dont le passage au sein d’une filière de formation professionnelle bien définie (métiers de la recherche et de l’enseignement supérieur), tant par les classes préparatoires que dans le cursus de l’école, assure une certaine homogénéité culturelle. Ces élèves ne sont pas des privilégiés, mais, comme les sportifs de haut niveau auxquels leur entraînement s’apparente, ils ont une obligation d’excellence.
- entrer en relation tant par la pédagogie que par la recherche avec les universités de proximité.
- assurer une ouverture internationale, et plus spécialement européenne, aux élèves de l’École.
Sylvain AUROUX (67 L SC), directeur de recherche CNRS, directeur de l’ENS de Fontenay-Saint-Cloud (1995-2005), Implantation à Lyon de l’ENS LSH (Mission ENS Grand Lyon, Lyon, 2000)
[1] Voir la liste des directeurs et directrices des ENS de 1880 à nos jours :
https://alumni.ens-lyon.fr/page/liste-des-directrices-et-des-directeurs-des-ens
[2] Le mémo compte quatre parties : 1. Rappel historique (non-reproduit en 2017) ; 2. Raisons et enjeux de la délocalisation ; 3. La philosophie du projet ; 4. L’opération : le défi d’une entreprise hors norme ; Esquisse d’un bilan. Nous remercions J. Deschamps de nous avoir communiqué le texte et S. Auroux d’avoir donné son accord pour la publication.
Pour citer ce texte : Sylvain AUROUX, Implantation à Lyon de l’ENS LSH (2000), Bulletin de l’association des élèves et anciens élèves des ENS de Lyon, Fontenay, Saint-Cloud, n°2, 2020, p. 38.. |