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L’ENS LSH, « rêve s’il en fut jamais »


En suis-je arrivé à ce stade de ma vie ? Celui où l’on écrit sur un monde connu de quelques-uns et avec qui on partage une vieille fraternité mais qui n’existe plus tout à fait. En commençant ces lignes, j’ouvre sur mon bureau une pochette hors d’usage où traînent dans une petite enveloppe un vieux badge délavé (pourtant si essentiel à l’époque), un bulletin de notes et un certificat de scolarité cartonné. « Le service Administration des études de l’École normale supérieure de Lettres et Sciences Humaines certifie que XX est bien inscrit à l’école pour l’année 2008/2009 en tant qu’élève-professeur stagiaire de première année et bénéficie à ce titre d’une rémunération soumise au régime de sécurité sociale des fonctionnaires ». Avec un vieux sac en toile de jute recyclée et mon PV d’installation, c’est ce qui reste comme reliques de mes années « LSH ». Nous avons posé pour une « photo de promo » qui ne nous a jamais été envoyée. C’est mon principal regret. Sur chaque document, un logo bicolore bleu roi et noir, les trois petites lettres en cursive. Curieuse promotion 2008 arrivée dans une école déjà en ébullition, à peine installée dans ses meubles, déjà en mouvement vers autre chose. Curieuse promotion 2008 qui devait être la dernière du « concours LSH » avant la création de la Banque d’épreuves littéraires commune à plusieurs écoles dont Ulm et l’une des dernières promotions avant la fusion Lettres-Sciences.

Aussi loin dans mes souvenirs, le sigle LSH a toujours gardé dans ma tête de khâgneux un voile ésotérique. Mais LSH cela permettait de dire qu’on préparait l’École « moderne » face à l’École « classique ». En bons provinciaux devenus trop Parisiens, LSH était un joli paravent qui servait à cacher nos inaptitudes en langues anciennes. On se gargarisait de représenter le temps présent, les vrais modernes face aux anciens. LSH était une astuce de l’histoire face aux moqueurs qui dénigraient la « prétendue École normale supérieure » ou « l’École normale de banlieue » pour celles et ceux qui ont subi ces billevesées. LSH contribuait à occulter l’éloignement, à mettre Ulm et la branche « dissidente » sur le même plan. On ne passait pas alors le même concours, les durées d’épreuves à l’écrit divergeaient, non fusionnées dans une banque commune avant 2009. La disparition de LSH est avant tout la disparition de son concours spécifique, avec des progrès notables pour l’intégration des khâgneux mais aussi des biais. A LSH, on s’honorait d’avoir un programme clair et sans « compétences socialement acquises ». Nul besoin d’avoir lu La Chartreuse de Parme à dix ans, il suffisait de la lire l’année du concours. Notre horizon de préparationnaire, borné, limité, apparaissait maîtrisable. Nous étions loin d’être comme les arpenteurs de la rue d’Ulm : nous étions des spécialistes revendiqués sur quelques segments de haute montagne. Je persiste à croire aujourd’hui que c’est ce qui donnait une chance à des élèves d’un milieu social très différent.

On connaissait LSH. Réalisait-on vraiment à l’époque que l’école était située à Lyon ? J’ai comme un doute en y repensant aujourd’hui. On savait bien au fond qu’il y avait deux écoles là-bas, vers la capitale des Gaules, « LSH » et « Lyon ». Mais pouvait-on se figurer cette différence ? Il n’y avait guère que notre professeur, François Louveaux (74 L SC) pour expliquer que Lyon accueillait deux ENS, distantes de 200 mètres et quelques trottoirs, mais avec un fossé symbolique assez grand entre les deux. Il fallait donc bien un géographe pour expliquer cette géographie tordue pour ne pas écrire torturée, reflet d’un certain aménagement politique du territoire, des sciences humaines comme expérimentales, des métropoles. D’ailleurs, n’étions-nous pas le produit de plusieurs couches géologiques : préparationnaires d’un concours LSH encore non fusionné tout en étant dans une khâgne « Cloud ». LSH était un de ces attributs distinctifs étranges dont je ne devais pour ma part comprendre la signification que des années après.

Qu’est-ce que LSH en 2008 ? C’est une collection de plus d’une centaine de noms qui, d’après le Journal officiel du 21 février 2009, entrent dans une école qui n’est officiellement pas « LSH » mais « de Fontenay-Saint-Cloud ». Ce sont quelques camarades auditeurs, encore trop peu nombreux côté lettres et qu’on n’appelle pas encore « étudiants », qui ont chacun cent fois plus de mérite à s’intégrer dans un milieu prompt aux petites vexations à l’égard de ceux « qui n’en sont pas ». LSH, c’est un petit « campus », « à l’américaine » vantait Olivier Faron (80 L SC), où les plus anciens, pour ne pas écrire les « vieux », nous tançaient. Nous étions une génération « privilégiée » et « le cul bordé de nouilles », disaient-ils en narrant le début légendaire de la ligne B du métro prolongée en 2000. De quoi relativiser la sensation d’enclavement en passant sous le pont ferroviaire entre la place Jean Macé et Gerland. LSH est une École où son directeur réveille involontairement une partie de la résidence à 7 heures du matin parce qu’il mène un combat de tennis contre l’historien Jean-Luc Pinol. LSH c’est une collection de fours (et micro-ondes) Whirlpool, de frigos un peu cabossés qui semblent là depuis des siècles mais en réalité depuis 8 ans seulement. LSH c’est un territoire, celui de Bruno Blondot qui est le premier visage amical de cette enceinte, l’homme des clés, celui qui veille sur nous comme sur ses gosses. LSH est une école qui semble déjà ancienne, évidente, installée.

Nous arrivons avec mes camarades historiennes et historiens dans une école tout juste marquée par « l’affaire Sylvain Gouguenheim », son livre Aristote au Mont-Saint-Michel et où flotte une drôle d’ambiance. On excusera la témérité du petit professeur de lycée à évoquer ces affaires de grandes personnes. On n’a jamais dit ni écrit la petite violence vécue par les 15 historiennes et historiens reçus cette année-là, soumis à un changement de jury en plein concours, arrivant au milieu d’une guerre de tranchées qui coupait l’École en deux. Au-delà de nos convictions aux uns et aux autres (l’absence de conviction pour ma part) sur le livre, nous étions 15 jeunes de 20 ans et des poussières quelques peu dégoûtés par cette première entrée dans le « Dallas » des Lettres et Sciences humaines, témoins d’une querelle de famille dont on ne nous expliquait pas grand-chose mais où, paraît-il, il fallait prendre parti. Un climat lourd et pesant s’était installé dans la famille. C’est d’ailleurs la première chose qui vient à mon esprit en parlant de LSH, une « famille ». Que mes maîtres et professeures ne m’en veuillent pas de cette franchise douze ans après : arriver au milieu d’un conflit au moment où les assiettes volent reste sans doute, pour nous élèves, l’origine d’un rendez-vous manqué avec l’ENS LSH. C’est sans doute pour cela que notre « crise d’ados », avec mes 14 autres camarades, est restée aussi éclatante. La promotion 2008 fut une promo remuante en histoire, cela reste sa marque et dans le contexte encore plus remuant des grandes grèves de la LRU. Face au silence pesant sur LSH, 15 jeunes historiennes et historiens s’en sont pris à la sainte famille, à ses vieilles habitudes et à ses huis-clos. Nous avons fait un peu de bruit.

Quelle entrée dans l’école, quelle étrange aventure humaine que de vivre une polémique violente pour finir par passer, quelques mois après, deux fois trois heures à 15 historiens, à commenter une décrétale et à contextualiser l’excommunication de Frédéric II avec Sylvain Gouguenheim qui avait décidé d’entraîner la « promo » à la rudesse de la méthode. Faire notre métier d’élèves avec un professeur. C’est tout ce que nous demandions à l’époque. Il a fallu que nous soyons tous, professeurs, élèves, école, un peu « abîmés » par les évènements pour en arriver là. LSH aimait faire compliqué plutôt que de faire simple, souvent…

Une famille : tout y contribue à LSH. Car sommes-nous après tout vraiment dans un campus ? Nous sommes davantage dans un « Fort Alamo » et dans un « cloître républicain ». Nous nous croisons. Combien de fois encore aujourd’hui je rencontre sur un écran le visage familier d’un camarade, croisé cent fois et avec qui j’ai dû échanger dix phrases tout au plus. Mais voilà, la structure même de l’école provoque la rencontre. « LSH », c’est un forum et un village. Des visages familiers sont là, dans une école où l’on ne savoure la qualité de l’encadrement qu’après en être sorti : le légendaire Arnaud Pelfrêne au CID et sa bienveillance érudite, la sévère mais juste Monique Guelorget à l’Administration des études, Bernard Teissier à la Bibliothèque et figure connue des réunions syndicales des élèves. Les « vieilles moustaches » (qu’ils me pardonnent) Pierre-François Moreau et Jean-Pierre Guilhembet (81 L SC), le cigarillo précédant le « salut » de Jean-Claude Zancarini (67 L SC). LSH est une École où l’on se dit bonjour et où l’on se salue. L’allure de Boris Gobille, la voix haute de Nicolas Richer, le sourire de Paul Arnould (65 L SC). Le traditionnel séminaire de géographie animé par Emmanuelle Bonerandi ou Emmanuelle Boulineau (94 L FC) au rez-de-chaussée du « bâtiment Formation », joyeuse congrégation que les fumeurs pouvaient presque suivre en tirant sur leurs cigarettes dans l’une des cours intérieures. Guillaume Garner (87 L FC) n’arpente pas encore le bocal avec nous, alors en détachement en Allemagne, lui qui a sans doute fait dans l’une de ces cours vitrées de LSH trois fois le tour de la terre en tirant sur sa Gauloise légère.

On se croise, énormément. Les noms ont des visages, ce sont nos professeurs. Les bureaux accessibles augurent d’un rapport presque individuel à l’administration et à la recherche, du « F» au « R ». Chose qui nous paraît normale alors que tout à l’extérieur se met en place pour un premier rabotage sur les moyens humains de l’université. La LRU commence son œuvre. Le quartier de Gerland n’est pas encore le quartier gentrifié qu’il est devenu. Il s’anime surtout les soirs de matchs. Avenue Jean-Jaurès, « l’OL Café » existe encore mais beaucoup de débits de boissons sont fermés après 21 heures. Frustration encore. Le Simply Market de la station Jaurès, véritable base logistique de la Normalie LSH, voit d’incessants ballets dignes du pont aérien vers Berlin en 1948. Les bras chargés d’une bière pas chère, des cohortes remontent l’avenue avec l’esprit de siège. En cela, le rapport à la ville est souvent atrophié pour les résidents « lettreux » de la résidence « Goodlove » (nom farfelu attribué à la résidence Bonnamour). Par rapport aux « scienteux », les « lettreux » profitent peu de la ville sauf les quelques aventureux qui résident dans des sous-pentes de la Croix-Rousse ou du Vieux-Lyon. Côté Sciences, on connaît le Ninkasi, les clubs de jazz, on peuple déjà les parcs, on est dans la ville et à Lyon 1. On est entre deux mondes et surtout on est « Lyonnais ». A LSH, on reste dans un entre-soi qu’on croit inconfortable.

Ce n’était pas une école. C’était un jardin. Les gros soupirs lancés par les kharrés et quelques khûbes quand il fallait aller à Bron en TD en témoignaient. Quitter le jardin pour 45 minutes de tramway, c’était quitter une douce torpeur et un lieu hors du temps. Une administration dotée de moyens, des réponses à nos questions, des procédures déjà très dématérialisées. Tout se réglait par mail mais tout pouvait aussi se régler en toquant au bureau d’Igor Moullier (95 L FC) ou d’Anne-Marie Sohn (65 L FT). On attendait son tour (un peu long) pour causer sujet de mémoire avec « M’dame Sohn », comme on aurait fréquenté un salon républicain sous le Second Empire. Tout nous semblait normal. C’était pourtant loin d’être normal. Aujourd’hui, je m’honore d’avoir connu un tel service public où tout était à portée. Bien sûr, on parlera encore de « privilèges » des normaliens. Je ne suis pas sûr que la vision idéale de l’enseignement supérieur ne soit pas dans ce petit établissement, cette petite famille. La famille avait aussi ses défauts quand cela allait mal. N’idéalisons point. Nous avons eu nos confrontations, nos paroles vives à LSH et quelques comportements de jeunes cons un peu trop exigeants. Pour citer une maxime d’OSS 117, la vie allait se charger de nous amener chez le coiffeur et surtout nous apprendre ce que la République des Sciences humaines avait d’utopique, de fonctionnel, d’exigeant à l’ENS LSH.

Scientifiquement, je n’ai jamais compris le transfert de notre promotion d’historiens de la catégorie « Sciences humaines » à la catégorie « Sciences sociales », du moins dans notre rattachement de secrétariat. Il y avait là quelque chose de mystérieux pour des khâgneux mal dégrossis sur le plan épistémologique qui passaient encore un oral de « culture gé » et non de « sciences humaines ». Puis il y eut subitement après la rentrée les invitations à se promener, à voir d’autres disciplines, à traverser les ponts jetés sur la rivière « sciences humaines et sociales », le séminaire « Lectures en sciences sociales » dont Igor Moullier restait le promoteur infatigable. Les plus téméraires se lançaient dans des laboratoires juniors. Dans cet aspect, LSH apparaissait bien « jeune », expérimentale, en invitant des esprits pas encore formés à oser, à transgresser aussi sur des champs pas encore stabilisés. Là où peut-être le projet LSH mériterait d’être réévalué, ré-amplifié, c’est dans cette invitation. Deux ans après, on nous invitait non plus à penser « LSH » mais à penser transdisciplinaire et en direction de champs scientifiques que jamais nous ne pourrions maîtriser. La fusion a arrêté un processus qui aurait mérité son millésime. LSH n’avait pas encore appris à jouer sur nos frustrations, nos soifs de lecture, notre esprit éclectique. Elle était sur le point de réussir. Cependant, elle s’adressait encore trop au spécialiste en devenir mais occultait le khâgneux. C’est pourtant cette première accroche des joyeux membres de la Société des Dilettanti qui aurait pu « réconcilier » les jeunes et les vieux, faire évoluer des élèves ressentant une inévitable frustration intellectuelle à « l’arrêt » de la classe préparatoire et de son rythme particulier. « Géographie chaude » contre « géographie froide » avait promis Michel Lussault à la rentrée commune des 1A du département « Sciences sociales ». Je ne crois avoir été élève d’une école « tiède ». Mais j’ai le sentiment d’avoir fréquenté un « tiers-lieu », un de ces espaces interstitiels où nous étions une sacrée bande de brigands. Nous n’avons pas cependant totalement réalisé la promesse de la liberté.

Aujourd’hui, connais-je vraiment l’ENS de Lyon ? Elle aussi est mon école. J’y repense souvent. En voyant il y a peu une photo de la cour et du monument à l’usine Mure, j’ai regardé l’arbre près du garage à vélo en me disant qu’il avait beaucoup pris d’ampleur. L’école aussi, incontestablement. Peut-on d’ailleurs encore garer son vélo sous cet arbre, dont je me souviens de la couleur, un arbre japonais ? J’ai souvenir de voir Bernard Michaux, heureux professeur de philosophie en khâgne s’arrêtant devant le monument Mure, interrogeant et fasciné par cet objet, rappel qu’ici des hommes et des femmes ont fait l’histoire du lieu. Ma crainte restera toujours qu’on oublie l’esprit des ouvriers de l'usine Mure et que des élèves, qui ne sont désormais plus « LSH », passent devant avec indifférence. 

Je crois que je n’arriverai jamais à dire « site Descartes », cela restera toujours « l’École » et ses trois petites lettres incongrues : LSH. Ancien de la fusion, je n’ai pour ma part jamais mesuré l’évènement, faute à l’agrégation ces années-là. Je peux bien l’écrire, Jacques Samarut et Olivier Faron ne m’en voudront pas, nous n’en pensions pas que du bien de la fusion à notre époque. On pouvait entendre sur la jeune webradio des micro-trottoirs éloquents : chacun gardait ses caricatures en tête, avec des mots durs et injustes parmi chaque groupe d’élèves. Quant à moi, je peux aussi l’écrire aujourd’hui, j’étais parmi les batailleurs d’escarmouches et les querelleurs d’escaliers. Combien d’heures passées pour tenter d’arracher et négocier un vote symbolique « contre » au conseil d’administration du vice-président de la région Rhône-Alpes lors du passage aux « responsabilités compétences élargies », dernier acte de la fusion en 2010 ?

Est-ce l’effet de l’âge ou de nos horizons réduits en cette époque de crise sanitaire et de voyages limités ? J’ai la nostalgie de cette École normale LSH, de Lyon, de Gerland, de l’avenue Jaurès, de la halle Tony Garnier, et, – même si elles ne sont pas miennes – des strates du passé de cette halle, l’usine Mure, de Saint-Cloud et de Fontenay. Du Bureau des élèves qui avait planché des heures pour caler « LSH » dans son nom de baptême. De cette école double, triple, ambiguë, hésitante, bouillonnante, jeune et vieille, héritière et républicaine, politique et batailleuse. C’est désormais sans complexe que j’écris « ancien élève de l’ENS de Lyon ». On me le reproche souvent dans mon milieu professionnel. J’ai quand même assez soupé pour avoir le droit de l’écrire. Je grommelle après mes camarades qui tentent l’étiquette « École normale supérieure » pour jouer une petite filouterie sur le lieu. Nous étions de Lyon, c’était notre École. Elle l’est sans doute encore aujourd’hui. J’espère qu’elle continuera, malgré toutes les fusions-acquisitions ou grands projets. Mais je crains parfois de la voir disparaître comme l’épicerie terrassée par la grande distribution. Parfois, la création de grandes institutions, c’est dissoudre quelque chose qui n’a pas eu le temps de grandir.

Je repense à Géoconfluences, au LAHRA, aux bouquins de Daniel Cordier, le secrétaire de Jean Moulin, légués à la Bibliothèque, aux « mouflons » (car ils resteront mouflons et non moutons de Soay) trop souvent libérés par d’augustes farceurs. Je repense aux débats sur la « nouvelle » titulature post-fusion : ENS de Lyon ou ENS « européenne ». Je repense à l’IFÉ où nous allions à l’époque peu, au « site Monod » qu’on découvrait et que d’autres avant avaient découvert. L’aventure LSH aura duré dix ans. Nous commencions à peine à nous parler et la fusion est encore trop proche à l’échelle d’une longue histoire pour en mesurer la portée. N’est-il pas temps pour l’école de se poser, avant de tenter d’autres aventures ? N’est-il pas temps de faire dialoguer les jumeaux, Sciences-Romulus et LSH-Remus, pour éviter l’affrontement fratricide dans de grands établissements ?

N’est-il pas temps de nous faire revenir, nous les LSH, mais aussi les Fontenaisiennes et les Cloutiers ? N’est-il pas temps pour la direction de l’École d’inventer ce lieu où l’on pourra revenir, ce mail que l’on pourra garder, ces bibliothèques et ces salles qu’on pourra refréquenter sans montrer patte blanche, sans dire pour s’excuser comme un aveu à mi-voix « j’étais élève ici » ? Ce que Ulm fait quasiment depuis l’an III, Lyon doit encore l’inventer : un lieu où des générations se croisent.

Un jour, alors chargé de TD, un étudiant dans un ascenseur de Paris-1 qui sortait comme moi en pause cigarette m’avait demandé timidement et sincèrement : « qu’est-ce que c’est l’ENS ? ». La question me bouscule encore. La fatigue ou la sincérité m’ont fait répondre : « C’est un barbecue avec un verre de rosé ». Vision terrifiante pour qui achèvera ce récit trop long. Mais voilà ce qu’était LSH, un petit monde où nous nous connaissions. Nous avions reproduit sans le vouloir un monde inconnu. LSH, c’était notre pavillon de Valois. Nous nous sommes sans doute regardés en chiens de faïence parfois dans ce village de 500 élèves et étudiants. Le professeur que je suis corrigerait : non pas un petit village, un petit lycée. Mais je sais qu’à ce jour, en cette heure, pour de nombreuses années, j’aimerais revoir mes camarades de promotion dans ce jardin, un verre de rosé à la main (mauvais forcément), pour tout ce que nous n’avons pas dit, pour tous les livres lus depuis, les engueulades, les rires. LSH est cette bande d’anciens marmots terribles à laquelle j’appartiens. C’est ma fierté malgré d’inévitables moments de doute. Elle a fait de moi l’ami et le professeur de lycée que je suis.

Thibaut POIROT (2008 L SH), 

5 novembre 2020



Pour citer ce texte : Thibaut POIROT, L'ENS LSH,  « rêve s'il en fut jamais », Bulletin de l’association des élèves et anciens élèves des ENS de Lyon, Fontenay, Saint-Cloud, n°2, 2020, p. 57-61.