Entretien avec Geneviève Almouzni, Académie des sciences

Dans le Jardin Marie Curie, Institut Curie, Centre de Recherche. Paris, 2019. Photo ©Elisabetta Citterio, réalisée pour le « STEM passion project, A Journey inspired by Women in Science », https://www.elisabettacitterio.com/a-scientist-journey 

Extrait du CV de Geneviève Almouzni

Geneviève Almouzni (1980 S FT) est une spécialiste du génome qui a fait avancer la compréhension de son organisation et de sa fonction au cours du développement et de la maladie, en particulier dans le cancer. « Elle a combiné la biochimie, la biologie cellulaire et les approches physiques avec l'imagerie avancée pour explorer la dynamique de la chromatine. » (Source : Institut Curie). Élue à l’Académie des sciences (2013), directrice de recherche de classe exceptionnelle au CNRS, directrice honoraire du Centre de recherche de l’Institut Curie (2013-2018), Geneviève Almouzni est à la tête de l’équipe de recherche « Dynamique de la Chromatine » au sein de l’UMR 3664 « Dynamique du noyau » à l’Institut Curie depuis 1994. Elle a eu et conserve de hautes responsabilités internationales (réseau EpiGeneSys, EMBO, EU-LIFE, ERC…). Sa carrière est remarquable. Nous la remercions vivement d’avoir accordé cet entretien.

Quels souvenirs gardez-vous de votre scolarité, de vos classes préparatoires ? Réussissez-vous tous les concours en 1980 ? 
Mes classes préparatoires au lycée Jean Rostand à Strasbourg me laissent le souvenir d’amitiés intenses, des enseignants motivés, de belles rencontres, j’y ai rencontré mon époux ! Et grande chance, oui, en 1980 tout me réussit…

Vous décidez d’entrer à l’ENS de Fontenay-aux-Roses. Y avez-vous fait des rencontres déterminantes notamment sur le plan scientifique (mais pas seulement) ? 
Une rencontre déterminante oui ! Celle de Claude Desplan (1972 S SC), alors maître de conférences à l’École, qui m’a beaucoup stimulée et inspirée pour faire de la recherche.

Votre engagement dans la recherche date-t-il de vos années normaliennes ? Était-il soutenu par l’École ? 
Comme indiqué, cela a été un atout de connaître l’ENS, j’ai aussi aimé les enseignements. J’ai passé l’agrégation de biologie et génie biologique.

En quelle année sortez-vous de l’ENS ? Et quand choisissez-vous plus précisément la recherche médicale ?
Est-ce qu’on en sort vraiment ? On garde des liens. Mon choix de recherche a été fait au moment de mon DEA en 1984-1985 (aujourd’hui on dirait Master). C’était l’aspect développement et un modèle amphibien, le Xénope, qui m’a attirée, et aussi le laboratoire que montait Marcel Méchali à l’Institut Jacques Monod, en revenant juste de son postdoc à Cambridge. J’étais fascinée par l’idée de pouvoir suivre les aspects moléculaires des premières étapes du développement.

Vous soutenez votre thèse en 1988 à l'université Pierre-et-Marie-Curie sur le Xénope. Vous avez ensuite pris contact avec Alan Wolffe au prestigieux centre de recherche de Bethesda National Institute of Health (NIH) aux États-Unis. Il vous invite ; vous partez avec une bourse de l’EMBO, votre famille vous accompagne et vous restez plus longtemps que prévu. Que diriez-vous de vos années américaines ?
Une étape majeure cette période, des rencontres formidables au NIH, de nombreux amis qui m’ont aidé à avancer. Alan a été un mentor très stimulant ! Le NIH était un berceau pour la recherche sur la chromatine, avec Gary Felsenfeld, Bob Simpson, Carl Wu, Michael Lichten, Marty Gellert, Gordon Hager, Igor David, et les postdocs du moment comme moi… tout le labo d’Alan. D’ailleurs, nous gardons contact avec notre Wolffe’s news chaque nouvelle année !

Vous êtes membre du Conseil scientifique de l’ERC (European Research Council, https://erc.europa.eu/about-erc/erc-president-scientific-council), renouvelée en juin 2023. Quels conseils donneriez-vous aux étudiantes et étudiants avancés qui entrent dans la compétition internationale ?
Confiance, allez-y, c’est une opportunité formidable pour une recherche ouverte, pour développer des idées originales avec un soutien significatif. Cela fait une différence pour une carrière scientifique en Europe et une vraie reconnaissance internationale. Il ne faut pas hésiter, il faut tenter. Ne pas se laisser intimider, et, s’il y a des suggestions à formuler pour des pistes d’amélioration, je suis ravie de les recevoir et d’essayer d’aider.

Comment décririez-vous votre parcours ?
C’est le mien, et je l’assume avec ses plus et ses moins …

Lorsque vous dirigiez le Centre de Recherche de l’Institut Curie (2013-2018), la presse a souligné que vous étiez la première femme à accéder à cette fonction après la chimiste Irène Joliot-Curie, fille de Marie Curie, en 1946. Vous-même, vous évoquez volontiers, à juste titre, sa mémoire et celle de Marie Curie. Vous avez mené ou décrit des actions destinées à aider significativement les femmes scientifiques. Acceptez-vous de les rappeler ?
Oui, j’avoue que la famille Curie est inspirante, et, c’est amusant, ma maman m’avait offert une pièce de 100 francs avec l’effigie de Marie Curie. Je l’ai toujours, c’est mon porte-bonheur…
Aider les femmes, les parents, la diversité me tient à cœur. Je suis actuellement coordinatrice du groupe de travail sur genre et diversité au conseil de l’ERC. Des aides où il en faut, en tout genre, pour penser à d’autres, pour donner confiance, pour des soutiens pratiques, pour des workshops d’échange, pour de l’écoute, pour promouvoir.

Vous êtes engagée actuellement dans le Projet Tictac sur la géométrie intracellulaire du cancer en « tandem » avec l’Institut Pasteur. Ce projet vise à étudier les effets de la géométrie sur l’état sain ou cancéreux d’une cellule ou sur son développement. Voulez-vous bien nous en dire plus ?
C’est un projet avec mes collègues physiciens de l’Institut Curie et de l’Institut Pasteur. Pour être dans la géométrie, nous formons un triangle, intéressant à mes yeux, avec une base forte en physique grâce à mes collègues, afin d’essayer de modéliser des compartiments dans le noyau de la cellule. Nous en sommes au début. A suivre donc, j’attends beaucoup de ces interfaces physique/biologie, toujours riches !

Propos de Geneviève Almouzni (1960 S SC),
recueillis par Christine de Buzon (1971 L FT), 4 novembre 2023.

En savoir plus sur deux chercheurs cités dans l'entretien et sur l'ERC

CV de Claude Desplan : https://wp.nyu.edu/desplanlab/members-4/desplan/
Parcours de Marcel Méchali : https://www.academie-sciences.fr/pdf/membre/s190607_mechali.pdf. Son CV : https://www.academie-sciences.fr/fr/Liste-des-membres-de-l-Academie-des-sciences-/-M/marcel-mechali.html.
ERC : voir https://erc.europa.eu/about-erc/thematic-working-groups/working-group-gender-and-diversity (2017) et le document ERC Scientific Council Gender equality plan 2021-2027 : https://erc.europa.eu/sites/default/files/document/file/ERC_ScC_Gender_Equality_Plan_2021-2027.pdf

En savoir plus sur les recherches de Geneviève Almouzni

Académie des sciences : https://www.academie-sciences.fr/fr/Liste-des-membres-de-l-Academie-des-sciences-/-A/genevieve-almouzni.html ; https://www.academie-sciences.fr/pdf/discours/s251114_almouzni.pdf
Discours sur la chromatine à l’Académie des sciences (25 nov. 2014) : https://www.academie-sciences.fr/fr/Discours/chromatine-un-vehicule-d-informations-au-dela-de-la-sequence-d-adn-sa-dynamique-et-sa-stabilite.html. Ce discours en pdf : https://www.academie-sciences.fr/pdf/discours/s251114_almouzni.pdf
Étoiles de l’Europe : https://curie.fr/actualite/epigenetique-et-genetique/une-etoile-pour-la-galaxie-epigenesys-le-reseau-coordonne-par
https://curie.fr/actualite/epigenetique-et-genetique/mieux-comprendre-le-noyau-en-4d
Thèse soutenue et thèses dirigées : https://www.theses.fr/033442088
Portrait dans La Tribune (mars 2014) : https://www.latribune.fr/technos-medias/innovation-et-start-up/20140306trib000818820/genevieve-almouzni-l-art-de-la-science.html
Article dans The Conversation (21 avril 2017, mis à jour le 5 mai 2017) : https://theconversation.com/pourquoi-nous-marcherons-ce-samedi-pour-les-sciences-76408
Quatre chercheuses à propos du rôle des femmes dans la science :
https://psl.eu/actualites/il-faut-encourager-et-aider-les-jeunes-femmes-scientifiques-se-lancer