Fin des années 1990. Archive René Blanchet. Droits réservés.

René Blanchet, de l’Institut, géologue et ancien recteur, est né le 22 juin 1941 dans le Bourbonnais. Sa carrière est exceptionnelle. Nous le remercions très chaleureusement à la fois d’avoir pris le temps de répondre à quelques questions sur sa formation et son entrée dans l’enseignement supérieur et d’être un fidèle adhérent de l’association. Nous remercions aussi Georges Ducreux (1960 S SC) d’avoir partagé ses photos de la Maison Bonnet.

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Vous sortez de l’ENS de Saint-Cloud major d’agrégation en 1964. De 1964 à 1976, vous y êtes assistant puis maître de conférences. Vous soutenez votre thèse de géologie (1973) et vous recevez le prix Fallot-Jérémine de l’Académie des sciences en 1974. 
Après un voyage d’étude au Venezuela, en 1976, vous devenez professeur à l’université de Bretagne occidentale et vous recevez le prix Viquesnel de la Société géologique de France. A Brest, vous fondez et dirigez (1977-1987) un groupement d’intérêt scientifique associant l’université et des organismes (CNRS, IFREMER, IRD, BRGM). On vous décerne alors le Prix Spendiarov du Congrès international de géologie (Paris, 1980). 
A partir de 1987, vous êtes professeur à l’université de Nice Sophia Antipolis (depuis 2019 Université Côte d’Azur). De 1987 à 1989, vous êtes le fondateur et le directeur de l’Institut de géodynamique (devenu Laboratoire Géoazur) de l’université de Nice Sophia Antipolis. Vous recevez la médaille d’argent du CNRS en 1988.
Vous devenez ensuite haut fonctionnaire de 1988 à 2002 : recteur et chancelier des universités de quatre académies, Nice, Montpellier, Aix-Marseille puis Paris. Vous redevenez professeur à l’université de Nice avec la fonction d’administrateur délégué de la Fondation Sophia Antipolis sur la célèbre technopole. En 2004, vous recevez le prix Léon Lutaud de l’Académie des sciences, prix de géologie « récompensant les travaux de haut niveau dans le domaine de la Tectonique[1]. »
Enfin, vous êtes élu le 29 novembre 2005 à l’Académie des sciences dans l’inter-section des applications des sciences, et membre de la section Sciences de l’univers.
Vous avez reçu de très nombreuses distinctions ; les principales ont été rappelées par l’association lorsque vous avez été promu dans l’Ordre national de la Légion d’honneur[2] au grade de commandeur par décret en date du 13 juillet 2021.
Avez-vous envie d’évoquer votre milieu familial ? Vos études jusqu’aux classes préparatoires ?

Je dois tout à l’école publique. Depuis le cours préparatoire – à l’époque il n’y avait pas d’école maternelle - jusqu’à la fin du cours moyen 2e année, j’ai vraiment été instruit et encadré par des institutrices tout à fait exceptionnelles qui m’ont encouragé à faire des études et notamment pendant le cours moyen. Quand il fallut choisir la suite du parcours, mon institutrice a conseillé à mes parents - qui voyaient cela avec difficulté - d’aller non pas au cours complémentaire local, proche de mon village de Chantelle (Allier) mais au lycée du chef-lieu de département. Il fallait alors devenir pensionnaire. Je suis parti en 6e au lycée Théodore de Banville à Moulins. Arrivé au lycée, je tenais absolument à faire des sciences et à suivre une voie scientifique. Au bout d’un mois, le proviseur a convoqué mes parents pour leur dire qu’il ne fallait pas me laisser en 6e moderne mais me faire suivre la 6e classique, avec du latin. Très ennuyés, mes parents ont décidé de suivre mon choix. Peut-être était-ce une erreur, mais je suis resté en 6e moderne, en l’absence d’informations accessibles sur la distinction entre les voies littéraires et les voies scientifiques. Tout cela est peut-être peu important : j’avais déjà ce goût des sciences dès l’école primaire, donné par mes trois institutrices.
Entré au lycée Banville à Moulins, j’ai suivi les classes jusqu’à la 3e tout à fait normalement à ceci près que j’ai tenu à passer le certificat d’études primaires, ce qui a surpris tout le monde au lycée. Probablement par respect pour mon père qui avait obtenu ce diplôme et qui le portait très haut. Je pensais déjà, d’une part, être enseignant et, d’autre part, alléger un peu les frais d’internat pour mes parents et j’ai donc passé le concours d’entrée à l’École normale d’instituteurs de Moulins. Je suis resté à Moulins jusqu’au premier baccalauréat ; pour la seconde partie, j’ai migré à l’École normale de Clermont-Ferrand afin d’y suivre la classe de mathématique élémentaire. C’était une période formidable. Avec une découverte de ce qu’était une École normale d’instituteurs, une vraie formation des enseignants, les écoles d’application. J’ai beaucoup aimé tout cela. Là encore, j’ai eu la chance d’avoir un directeur d’École normale tout à fait extraordinaire. Il a convoqué mes parents - encore une fois - pour leur dire qu’il fallait que je parte à Paris suivre une classe préparatoire à l’ENS de Saint-Cloud. Je voulais toujours faire des études scientifiques et enseigner. A l’École normale, j’ai eu un professeur d’histoire extraordinaire qui m’a même présenté au concours général en histoire. J’ai hésité un moment à prendre cette voie ; cette passion pour l’histoire est toujours actuelle chez moi. Mais je suis parti en classe préparatoire scientifique au lycée Chaptal à Paris.

Y avait-il une ou deux années de classes préparatoires ?

On avait la possibilité de passer le concours au bout d’un an. La plupart des élèves intégraient au bout de deux ans. J’ai passé le concours après une année de préparation et j’ai intégré l’École. Je suis entré à un très mauvais rang - 44e sur 45 - en 1960, car j’avais des impasses énormes. Je passe sur les anecdotes de cette classe préparatoire. La classe préparatoire de Chaptal m’a donné le premier contact avec la vie culturelle parisienne : j’ai eu la chance d’assister à une représentation de Carmen avec la grande Jane Rhodes[3] et le ténor Albert Lance (qui s’est ultérieurement retiré dans le village de Colomars, sur les hauteurs de Nice !), sous la baguette de Roberto Benzi. 

Est-ce à l’ENS de Saint-Cloud que vous devenez géologue ? 

Je n’avais pas de préférence pour une des voies scientifiques. J’ai passé les oraux du concours dans les différentes disciplines et là, j’ai eu une révélation donnée par un interrogateur de l’épreuve de géologie, Jean Aubouin (1948 S SC)[4]. C’est ce qui m’a déterminé à faire ensuite des études de géologie et à devenir géologue. Tout est parti de cet oral du concours d’entrée à l’ENS de Saint-Cloud. Voilà pourquoi j’ai fait de la géologie à Saint-Cloud où j’ai passé quatre années vraiment extraordinaires dans tous les apprentissages non seulement scientifiques, disciplinaires mais également celui des relations humaines. Ce fut une grande expérience que je n’oublierai pas. Pourtant les conditions matérielles étaient loin des conditions qu’on trouve dans les grands établissements modernes, les universités et les ENS actuelles. C’était un peu « artisanal » mais c’était formidable. 

Il y a toujours eu des équipes de direction attentives à la fois aux élèves et aux murs puisque les soucis immobiliers étaient constants n’est-ce pas ?

Oui, il y avait des problèmes immobiliers. Il n’y avait pas d’internat, jusqu’à la construction du bâtiment du 2 rue Pozzo di Borgo ouvert à la rentrée 1962. On logeait les élèves dans des villas louées, à la Maison Bonnet, au Parc de Montretout pour les « naturalistes ». Quelle ambiance, loin des autorités ! Mais il y avait des déplacements sans cesse, à Paris, à Orsay pour les études, à Saint-Cloud pour tous les repas. Ce qui était très enrichissant, c’est qu’on suivait les cours à la Sorbonne et aussi à l’université d’Orsay où l’on côtoyait tous les étudiants et qu’on bénéficiait des cours en complément à l’École, assurés par des spécialistes remarquables, de haut niveau. Quelle chance !





La Maison Bonnet, Parc de Montretout, Saint-Cloud.
Archives Georges Ducreux (1960 S SC).


Pendant votre scolarité, vous retrouvez Jean Aubouin qui donnait des cours d’agrégation à l’ENS de Saint-Cloud. Enseignait-il aussi à celle de Fontenay-aux-Roses ?

Oui, Jean Aubouin a enseigné à Saint-Cloud pendant 20 ans et il donnait aussi des cours d’agrégation à Fontenay. A l’époque, il y avait beaucoup d’échanges entre les Écoles. Jean Aubouin assurait les cours dans les deux Écoles. D’autres géologues comme Robert Brousse (1950 S SC) venaient à Saint-Cloud et sa femme, Paulette Brousse (1951 S FT), enseignait à Fontenay. André Beaumont (1943 S SC) enseignait aussi à Saint-Cloud, il y avait beaucoup de professeurs partagés entre les deux ENS. J’ai préparé l’agrégation en quatrième année. Avant l’agrégation, il y avait à l’époque le diplôme d’études supérieures, le DES est l’équivalent de l’actuel master 2e année. Je l’ai réalisé sous la direction de Jean Aubouin puisque, dès ce moment, j’avais choisi son laboratoire. Et je l’ai fait dans les Alpes méridionales, en Italie du Nord. Dès cette époque, j’avais déjà une aspiration au voyage pour, peut-être... compenser le fait que, pendant toute ma jeunesse avant la classe préparatoire, hors l’année à Clermont-Ferrand, je n’avais pas quitté mon village de Chantelle ou le chef-lieu de département. 

Vous êtes devenu tectonicien. Était-il question de la tectonique des plaques dans ce DES ou dès vos études à l’ENS de Saint Cloud ?

Non, pas du tout. La tectonique des plaques est née au milieu des années 60, aux États-Unis et au Royaume-Uni. Sous l’impulsion de l’un de ses pères fondateurs, Xavier Le Pichon[5], elle arrive dans les universités françaises autour de 1970. C’est dans ma thèse d’État[6], soutenue en 1973 que, dans les conclusions, je fais appel à la tectonique des plaques. C’est donc dix ans après mon diplôme d’études supérieures qui était un diplôme de géologie de terrain.
Ensuite, j’ai passé l’agrégation. Je dois dire que l’ambiance des laboratoires avec compétition dans l’enseignement supérieur et la recherche m’avait un peu surpris et j’étais toujours très passionné par l’enseignement. Le jour des résultats de l’agrégation, l’Inspecteur général de la discipline recevait tous les candidats admis. Il m’a demandé ce que j’envisageais de faire parce que j’étais major d’agrégation ; il a proposé ma nomination au lycée Masséna à Nice. L’Inspecteur général a souligné que c’était un premier poste prestigieux ! Pendant l’été, Jean Aubouin et les autorités de l’ENS (André Bellemère[7], 1952 S SC) ont pu obtenir la création d’un poste d’assistant de géologie à l’École – j’ignore par quel mystère ou par quel canal - et Jean Aubouin m’a téléphoné avant la rentrée scolaire pour me demander : « Même si le poste de Nice est attractif, est-ce que cela vous conviendrait ? ». On ne peut pas refuser. J’ai évidemment accepté de prendre le poste d’assistant à Saint-Cloud.

Souhaitez-vous évoquer les amitiés nouées à l’ENS de Saint-Cloud ?

Volontiers. J’ai la chance d’appartenir à une promotion de spécialistes de « sciences naturelles » - comme on disait à l’époque – très soudée et elle l’est restée jusqu’à ce jour. Tous les deux ans, nous avons une réunion de promotion de trois jours, organisée par l’un de nous, dans une région de France avec nos familles. Nous sommes vraiment restés très liés, solidaires, nous tenant au courant des aléas de la vie de chacune des familles. La solidarité aussi est importante et ça, c’est assez exceptionnel. Par ailleurs à l’ENS de Saint-Cloud, pour ce qui me concerne, ce que j’ai beaucoup apprécié, c’est de côtoyer, et d’être ami et d’échanger avec des Cloutiers d’autres disciplines que la mienne. Et puis il y avait les associations, si actives, le développement de la culture et des manifestations culturelles, le théâtre, les grandes conférences. Je me souviens toujours d’une conférence de Salvador Dali assez décapante à l’École. Ces choses m’ont marqué. Il y avait aussi les bals annuels réunissant les ENS dans les grands salons de la Sorbonne. Tout cela créait beaucoup de liens, dans un état d’esprit qui – je pense - aujourd’hui, ne se retrouve guère. Le sport (surtout rugby, football, tennis) avait aussi sa place grâce à un professeur, inoubliable, Monsieur Boutillier. Il était proche des élèves sur le plan sportif mais aussi sur le plan de la relation plus personnelle en cas de difficultés. Pour les amateurs de théâtre, il y avait aussi une scène dans la grande salle des nouveaux bâtiments rue Pozzo di Borgo. L’association culturelle nous a permis aussi d’assister à des opéras et de fréquenter les théâtres et les cinémas.
Ces Écoles nous restent très chères. Ce sont des ancrages forts qui expliquent nos comportements actuels et qui permettent de les justifier dans des conversations avec des enfants ou des jeunes gens. L’École, comme toutes les ENS, préparait très bien à l’avenir, à l’ouverture, aux échanges, aux discussions (ce qui explique que certains brillent dans la politique, jusqu’à devenir ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche comme Sylvie Retailleau, ancienne élève de l’ENS de Cachan, promotion 1985, ou ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, comme Pap Ndiaye (1986 L FT) mais aussi dans le journalisme, dans le syndicalisme, dans les arts). Pour cela l’annuaire des élèves et anciens élèves est très intéressant. On voit combien les Cloutiers et Fontenaysiennes, les Lyonnaises et les Lyonnais sont nombreux à l’université et dans la recherche, dans tous les domaines, et à très haut niveau comme Étienne Ghys (1974 S SC), Secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, Catherine Bréchignac (1967 S FT), ancienne directrice du CNRS, Didier Roux (1975 S SC), président de la Fondation La Main à la Pâte, ou Anne L’Huillier (1977 S FT), prix Nobel de physique en 2023. Et, au-delà de l’université et de la recherche, on constate leur présence jusque dans les Académies du monde entier.

Propos de René Blanchet (1960 S SC),
recueillis par Christine de Buzon (1971 L FT), 10 novembre 2023.


[1] Académie des sciences : https://www.academie-sciences.fr/archivage_site/activite/prix/laureat_lutaud.pdf (Toutes les notes sont des notes des éditrices).

[3] Entrée de Carmen au répertoire de l’Opéra de Paris en 1959 (extrait, 10 novembre 1959, 4 min 42), INA : https://fresques.ina.fr/en-scenes/fiche-media/Scenes01009/entree-de-carmen-au-repertoire-de-l-opera-de-paris-en-1959.html ; photo de Jane Rhodes dans le rôle de Carmen en 1959 et extrait musical (« L’amour est un oiseau rebelle », Acte I) : https://www.radiofrance.fr/francemusique/podcasts/les-tresors-de-france-musique/memoire-retrouvee-jane-rhodes-une-archive-de-1994-1ere-partie-7227010.

[4] Voir l’hommage à Jean Aubouin de trois de ses anciens élèves (R. Blanchet, J. Ferrière et F. Roure), Bulletin n°1, 2021, p. 112-113.

[5] Conférence de Xavier Le Pichon, de l'Académie des sciences : « La Tectonique des Plaques cinquante ans après : souvenirs et réflexions d'un des acteurs de sa mise en place » (14 mars 2018, 1h 32 min : https://annales.org/archives/videos/xavier-le-pichon.html)

[6] Thèse soutenue sous le titre : Contribution à l'étude géologique des Dinarides, un profil en Yougoslavie, de la Dalmatie moyenne au Bassin pannonique (Paris 6, 1973). Remaniée et publiée sous le titre : De l’Adriatique au bassin pannonique : essai sur un modèle de chaîne alpine, Paris, 1974, coll. Mémoire de la Société géologique de France, 120.

[7] A. Bellemère avait été appelé à l’ENS de Saint-Cloud pour mettre en place la préparation à l’agrégation de sciences naturelles en 1955 selon Christian Bock dans son hommage :
https://www.persee.fr/doc/jobot_1280-8202_2015_num_71_1_1351.

En savoir plus

- René Blanchet, Marie Stern, Marie-Thérèse Frank, « Blanchet René. Recteur des académies de Nice (1989-1991), de Montpellier (1991-1996), d'Aix-Marseille (1996-1998) et de Paris (1998-2002) », Témoins et acteurs des politiques de l'éducation depuis la Libération, tome 5 : Inventaire de cinquante entretiens. La fonction rectorale. Paris, Institut national de recherche pédagogique, 2008, p. 33-35. (Témoins et acteurs des politiques de l'éducation, 1).
Téléchargeable : https://www.persee.fr/doc/inrp_1295-1234_2008_ant_1_5_3409 

- CV : https://www.academie-sciences.fr/pdf/membre/BlanchetR_bio310311.pdf

- Thèses dirigées : https://www.theses.fr/029367603 

- Conférence Canal Académies (2007, audio, 49 min) : « La géologie, une aventure ! Entre plateformes pétrolifères, rectorat et Académie des sciences » : 
https://www.canalacademies.com/emissions/en-habit-vert/rene-blanchet-la-geologie-une-aventure

Olympiades de géosciences, remise des prix au ministère de l’Éducation nationale, 17 juin 2009. Ce cliché témoigne d’un intérêt constant pour l’enseignement des sciences. Archive René Blanchet. Droits réservés.