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Les formations au cinéma (2001-2015)


Quelle est votre formation et pourquoi avez-vous postulé à l'ENS LSH en 2001 ?

J’accompagnais régulièrement mon père, qui donnait des cours de cinéma et de théâtre au lycée Frédéric Faÿs de Villeurbanne. Grâce à son intervenant professionnel, Yves Bourget, documentariste, j’ai appris la plupart des techniques vidéographiques lors des tournages étudiants. J’ai monté le court métrage Entre Vaulx et moi (1991), l’un des premiers films traitant des problèmes de mixité en banlieue. Il a reçu le Grand Prix du festival « Créer d’après la Ville », décerné par le Centre Pompidou, Télérama, et la Caisse d’Épargne. C’est aussi à cette occasion que j’ai pu rencontrer, à l’Institut Lumière de Lyon, par l’entremise de Thierry Frémaux, le célèbre chef-opérateur Pierre-William Glenn qui a beaucoup travaillé avec Tavernier, Truffaut, Pialat, et était le co-directeur Image de la Fémis. Il a accepté de m’aider à réaliser un court métrage retraçant l’invention du cinématographe par les frères Lumière. Ce qui l’a séduit, c’est que l’on racontait leur histoire du point de vue des femmes : leur cousine, leur sœur, ainsi que leur camériste ! Le film s’intitule Sœurs Lumière, il a été tourné en pellicule 35 mm avec un budget conséquent de 1,5 millions de francs (l’équivalent d’environ 200 000€ d’aujourd’hui) et sortit en 1995. Pendant plusieurs années, Pierre-William Glenn m’a accompagné, ainsi que son équipe, et m’a formé aux différents métiers du cinéma (écriture, image, son, montage). J’ai alors compris que les techniques cinématographiques s’apprenaient avant tout sur le terrain, en compagnie de professionnels. Toutefois, n’étant pas issu d’une famille de cinéastes (ni de banquiers), j’ai préféré arrêter ma carrière de réalisateur tout en restant proche du milieu cinématographique.

Ainsi, en 2001, ma maîtrise d’AES en poche, j’ai appris que l’ENS LSH qui venait d’être inaugurée était dotée d’un important service audiovisuel de vingt-neuf personnes dirigé par Christophe Porlier, le SCAM. La plupart des postes dédiés à l’équipe technique étaient pourvus mais il manquait une personne dotée notamment de capacités en multimédia et en informatique pour créer la base de données des médias tournés par le service. Je n’ai donc pas été recruté parce que je réalisais des films, mais surtout parce que j’avais orienté ma maîtrise d’AES via une spécialisation dans la création de bases de données multimédia. Cette passion pour l’informatique me permet toujours d’être à l’aise avec les outils de postproduction, de télétravail, voire de téléenseignement.

Francis Ouedraogo était le responsable de l’équipe audiovisuelle (aujourd’hui, en 2021, il est responsable du service ENS Média). Il m’a rapidement confié la responsabilité technique de l’« Atelier cinéma » mis en place quelques années auparavant à l’ENS de Fontenay-aux-Roses où il est arrivé en 1996. Après la délocalisation de l’École en 2000, il a fallu tout inventer, ce qui dégageait parfois du temps libre pour certain.es étudiant.es, qui avaient une très grande autonomie. Mes formations techniques étaient au départ « informelles » et utilisées à côté de mes autres obligations et missions. Je me souviens, par exemple, avoir formé, en 2002, des étudiantes de l’atelier documentaire de Christian Lallier : Alicia Harrison (02 L LSH), Anaïs Collet (98 L FC), Valéria Costa-Kostritsky (02 L LSH), ainsi que des étudiantes de l’atelier fiction, dirigé par Muriel Teodori, notamment Bojina Panayotova (02 L LSH) et Ania Szczepanska (02 L LSH). En parallèle, j’aidais aussi à réaliser des captations de leurs spectacles les étudiant.es en théâtre : Anne Pellois (96 L FC), Pierre Daubigny (98 L FC), Robin Holmes (98 L FC), en collaboration avec le directeur du théâtre Kantor, Hédi Kaddour, et son régisseur, Jean-Philippe Michaud.

Quelles étaient vos impressions en arrivant à l'École ?

Mes sentiments étaient très positifs, car les pratiques n’étaient pas encore vraiment institutionnalisées. Les marges d’action étaient grandes. J’avais une certaine liberté pour organiser mon emploi du temps et j’avais l’impression d’être une passerelle entre les étudiant.e.s et l’équipe technique du SCAM. J’avais à peu près le même âge, ce qui nous rapprochait aussi !

Dans quels domaines précis avez-vous formé les étudiants et selon quelles méthodes ?

Il y avait d’abord l’initiation au matériel d’enregistrement du son et de l’image. Je rédigeais également des fascicules de formation au montage sur la suite Adobe et Media 100 (ce que je fais encore aujourd’hui), et j’éditais les DVD des films de chaque promotion, en documentaire comme en fiction. Il y avait un studio de télévision (salle Jean-Claude Carrière) où je formais les étudiant.es à la lumière, au cadre et à la prise de son, sur les conseils de Muriel Teodori. En 2005, j’ai été missionné pour organiser techniquement les épreuves de cinéma du concours. À cette époque, Christine Juppé-Leblond, inspectrice générale de l’Éducation nationale, a souhaité mettre en place, à l’ENS de Lyon, l’agrégation de cinéma, notamment en s’appuyant sur les ateliers cinéma. Malheureusement ce projet n’a pas abouti, mais il en est resté le format de l’épreuve de cinéma mise en place par Muriel Teodori et Hédi Kaddour, un peu sur le modèle de la Fémis (épreuve de tournage, de montage, ou de scénario), et destinée aux élèves sortis d’une classe préparatoire « option cinéma ». Mon rôle, jusqu’à mon départ en 2015, était d’assurer le bon déroulement technique de cette épreuve.

Quelles étaient selon vous les difficultés au moment de la refondation de l'École et de la création de la section études cinématographiques ?

Le cinéma, tout comme le théâtre, sont des activités qui exigent un engagement massif. Dans ces deux domaines de création, et peut-être encore davantage pour le cinéma, où il y a de nombreuses techniques à maîtriser, ces apprentissages prennent beaucoup de temps ! Cela devenait parfois une vraie passion chez certain.es étudiant.es, prenant le pas sur les études. Cela les amenait même – plus rarement - à changer de trajectoire professionnelle, voire remettre en cause le projet d’avenir qu’ils avaient en entrant à l’école. Je rencontre d’ailleurs les mêmes difficultés aujourd’hui au département cinéma de l’université Lumière Lyon-2, avec certain.es étudiant.es, qui abandonnent leurs études pour travailler dans le milieu cinématographique…

Quelles étaient les relations entre l’atelier documentaire et l’atelier fiction ?

Ces deux classes fonctionnaient de manière très scindée : Christian Lallier développait un atelier de documentaire d’observation, d’inspiration anthropologique ; tandis que Muriel Teodori pratiquait la fiction sur le modèle de La Fémis, avec la participation d’intervenants professionnels, issus du SCAM ou de l’extérieur, mais aussi à travers l’organisation de master-classes. C’est d’ailleurs, selon moi, la meilleure manière d’apprendre le cinéma. Chaque projet de film était encadré par de grands professionnels comme la réalisatrice Nurith Aviv ou le chef opérateur Denis Rouden. Les tournages des étudiants fonctionnaient dans une économie de production professionnelle : le scénario et le découpage techniques devaient être validés et la durée de réalisation était limitée à deux jours pour le tournage, et deux jours pour le montage. Sur chaque tournage, les étudiant.es occupaient, tour à tour, tous les postes techniques : réalisateur, cadreur, ingénieur du son, monteur. Les chef.fes de postes étaient tout.es professionnel.les, avec une très grande expérience et de vraies exigences cinématographiques. C’était donc un apprentissage empirique et professionnalisant, pour les étudiants comme pour l’équipe des techniciens du SCAM, qui intervenaient à toutes les étapes de la création des films. Nombre de courts métrages ont été primés au niveau international, et pas seulement pour leur qualité technique. La qualité de l’écriture ainsi que la réflexion préalable autour de la mise en scène sont les éléments primordiaux dans la réussite de tels projets, et ce sont justement les points forts des étudiant.es de l’ENS.

Quelles leçons avez-vous tiré de ces premières années ?

À l’ENS LSH j’ai pu me professionnaliser et j’ai notamment appris à travailler en équipe ; j’ai aussi découvert la hiérarchie au sein d’un service public. Quelques années plus tard, grâce à la formation continue financée par l’ENS, j’ai obtenu un master en études cinématographiques. Mon passage au SCAM devenu ENS Média m’a formé techniquement, ainsi que pédagogiquement, aux fonctions que j’exerce encore aujourd’hui en tant qu’ingénieur pédagogique en cinéma à l’université Lyon-2. Le passage à l’ENS a donc été crucial dans l’évolution de ma carrière, et j’en garde des souvenirs très riches, notamment au travers des collègues que j’ai pu côtoyer et avec qui je suis souvent resté en contact.


Propos recueillis par Ania SZCZEPANSKA (02 L LSH) auprès de Mathias CHASSAGNEUX,
université Lyon-2 (ENS Média, 2001-2015), 23 avril 2021


Pour citer ce texte : Mathias CHASSAGNEUX, Les formations au cinéma (2001-2015), Bulletin de l’association des élèves et anciens élèves des ENS de Lyon, Fontenay, Saint-Cloud, n°1, 2021, p. 81.