Réalisé avec sa sœur Agnès Molia, le dernier film de Xabi Molia, Un bon début, est sorti en octobre 2022 et il est disponible en DVD depuis mars 2023. Xabi Molia a ou a eu plusieurs carrières : universitaire, écrivain et cinéaste. Il a aussi deux prénoms. Entré à l’École sous le nom de François-Xavier Molia, il a publié assez vite sous ce nom chez Gallimard, Fourbi, sélectionné pour la Bourse de la découverte 2001 de la Fondation Prince Pierre de Monaco. Tous les ouvrages suivants sont signés du nom Xabi Molia, Xabi – qui se prononce chabi - étant l’équivalent basque de Xavier, l’un de ses prénoms de naissance.

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Avez-vous des précisions à donner sur l’emploi de vos deux noms ? Au moins une fois, vous avez utilisé l’anagramme de votre nom, non pas pour signer mais pour nommer un personnage de roman. Alors puis-je vous demander si vous avez utilisé aussi des pseudonymes ?

Après ma naissance, mes parents n’avaient pas encore arrêté leur choix sur mon prénom, ils hésitaient, et s’ils ont fini par se décider pour « François-Xavier », je ne crois pas qu’ils y tenaient beaucoup. Lorsque, quelques mois plus tard, la nounou basque qui s’occupait de moi m’a rebaptisé « Xabi », mes parents et mes sœurs ont adopté à leur tour ce prénom. Et moi-même, j’ai ignoré jusqu’à l’âge de sept ans que j’en portais un autre sur les documents officiels. Ensuite, j’ai avancé dans la vie avec ces deux prénoms, l’un réel, familier et quotidien, « Xabi », l’autre officiel, toujours un peu étranger, « François-Xavier ». Cette hétéronymie m’a plu, c’était souvent commode d’avoir deux identités. J’ai senti le besoin d’en avoir d’autres encore, et j’ai donc utilisé différents noms pour signer d’autres projets, pour me donner l’impression d’avoir plusieurs vies.

Quel fut votre parcours jusqu’au concours d’entrée ?

J’ai grandi à Bayonne, où j’ai fréquenté des établissements catholiques dont je garde un mauvais souvenir. Puis j’ai eu la chance de passer deux années extraordinaires au lycée français de Londres. J’ai été admis en hypokhâgne au lycée Henri-IV, ce à quoi personne ne s’attendait, ni moi, ni mes professeurs, ni mes parents, mes résultats scolaires n’étant pas faramineux. L’année suivante, j’ai passé le concours et j’ai été admis.

Vous entrez à l’ENS de Fontenay-Saint-Cloud en 1997. Comment décririez-vous votre état d’esprit ? Celui d’un futur universitaire, d’un cinéphile, d’un écrivain ? 

Je savais déjà que je voulais écrire des livres, et je m’imaginais que, si j’étais normalien, je serais en quelque sorte protégé par ce pedigree, je trouverais forcément une « place », un salaire qui me permettrait d’embrasser une carrière littéraire sans penser aux factures. C’était très naïf, mais cette croyance magique m’a permis de réussir ce concours : je voulais ardemment entrer à l’ENS, c’était pour moi la porte d’entrée dans une vie d’écrivain.

L’année 2000-2001 est l’année de « refondation » de l’École à Lyon. Vous faites partie des promotions qui ont connu le site d’Ile-de France puis le site lyonnais de l’ENS LSH (actuel site Descartes). Avez-vous perçu des sortes de promesses dans le nouveau lieu au cours de l’année 2000-2001, ou au contraire, rien de tel ? 

Je suis arrivé sur un campus encore en construction. Le jardin était un champ de boue, les logements venaient d’être achevés, certains éléments du décor semblaient remarquablement prétentieux (disséminés çà et là dans les couloirs, des écrans plats hors de prix servaient alors de panneaux d’affichage… mais n’avaient rien à afficher), et beaucoup de choses dysfonctionnaient. Pourtant, cela avait le charme des lieux étranges et je m’y sentais bien.

A Fontenay-aux-Roses ou à Lyon, qui, dans votre souvenir, était intéressé par l’atelier cinéma ou tout ce qui préfigurait, petit à petit, l’option études cinématographiques ? Certains cours vous ont-ils marqué à l’École ? Voulez-vous évoquer certaines rencontres décisives dans l’École ? Hors les murs ?

Ce serait mentir que de dire que j’ai aimé mes premières années à l’École. Je m’en étais fait, sans doute, une trop haute idée. Quand je l’ai découvert, Fontenay me semblait un lieu fantomatique. J’y ai fréquenté des garçons et des filles que j’avais connus à Henri-IV, mais je n’y ai rencontré presque personne. Ma vie était ailleurs. Les cours n’étant pas obligatoires, rien n’était frappé du sceau de la nécessité. Et l’exaltation intellectuelle que j’avais ressentie à Henri-IV m’a cruellement manqué au début. Je crois que nous sommes nombreux à avoir davantage aimé les années de classes préparatoires que celles qui ont suivi. Mais j’ai quand même été très marqué à l’École par deux enseignants merveilleux, Michel Jourde (1984 L FT) et Jean-Charles Monferran (1987 L FC). Je crois qu’ils étaient amis et je ne peux les dissocier l’un de l’autre. Je les trouvais savants, humbles et rigoureux. Je cherche encore un autre mot, peut-être celui de « gourmandise » conviendrait-il : ils avaient un rapport gourmand à la littérature, à la langue et sans doute à la vie elle-même. Quand je les écoutais, j’avais l’impression que mon esprit buvait à une source pure, celle de l’intelligence vraie, débarrassée des effets de style et des paresses de pensée. Manquer un de leurs cours, c’était comme rater un épisode de votre série préférée.

Pure curiosité personnelle. Votre DEA portait sur la littérature de la Renaissance. Quel en était le sujet ?

Après avoir fait mon mémoire de maîtrise sur l’énumération dans les œuvres de François Rabelais et de Georges Perec, j’ai fait un DEA sur le roman d’aventures en travaillant sur Hélisenne de Crenne et Barthélémy Aneau. Mais cette année-là, j’étais occupé à de nombreux autres projets, j’ai dû rédiger un mémoire en trompe-l’œil. Je me souviens que le résultat me faisait un peu honte.

Vous obtenez l’agrégation de lettres modernes en 2001. C’est à l’École que vous changez de discipline puisque vous y préparez votre projet de thèse en études cinématographiques à Nanterre sur le film-catastrophe hollywoodien. A votre sortie de l’École en 2003 aviez-vous bénéficié de l’équivalent d’un contrat doctoral à l’université de Nanterre (AMN : allocations couplées à un monitorat) ?

Un jour, je suis allé voir Michel Jourde dans son bureau et, comme un novice qui renonce à la prêtrise, je lui ai annoncé que j’allais changer de discipline. J’avais, ce jour-là, l’impression de trahir notre foi commune. Devant lui, je m’étais empêtré dans des explications fumeuses. La vérité, c’est que je sentais qu’il fallait, pour travailler de manière utile sur la littérature de la Renaissance, des compétences et une rigueur dont j’allais manquer. J’avais peur, aussi, de mener une vie de recherche au sein d’un cercle d’érudits dont les objets d’étude restent obscurs aux non-initiés. Il faut du courage pour vivre cette vie-là. Étudier les films-catastrophe, c’était, au contraire, l’opportunité de travailler sur la culture populaire. Ma mère n’avait pas lu et ne lirait jamais Hélisenne de Crenne. Elle avait vu La Tour infernale. Je savais que je pourrais lui parler, le dimanche, de ce que je faisais. Je suis devenu AMN dans la foulée.

A la sortie de l’École, votre expérience de la recherche doctorale et de l’enseignement universitaire semble contemporaine d’un engagement plus marqué encore dans ces deux arts, le cinéma (l’écriture scénaristique puis la réalisation) et la littérature. Votre premier court-métrage, Avec vautours, date de 2003 et le suivant, L’invention du demi-tour, de 2005. Une de vos sœurs, Christie, est passée par la Fémis. Vous lui avez attribué votre première expérience de l’écriture de scénario ; la collaboration s’est-elle poursuivie ? 

Tous les films que j’ai réalisés ont été produits par ma sœur. Elle et moi ne connaissions personne dans le monde du cinéma. Alors nous avons commencé à y cheminer ensemble. Et cela s’est poursuivi jusqu’à aujourd’hui.

Comment partagez-vous actuellement votre temps entre le cinéma et la littérature ?

Je tente de vivre à parts égales dans ces deux mondes. Mais seul le cinéma me fait vivre. La littérature est une passion, une obsession, quelque chose sans quoi je ne peux pas vivre. C’est littéral : si je passe trop longtemps sans écrire, je vais mal.

Vous avez soutenu votre thèse, Un cinéma de la destruction : approches esthétiques, historique et industrielle du film-catastrophe hollywoodien (dir. Laurence Schifano, Paris 10, 2007) et collaboré à plusieurs volumes universitaires, dont Le Cinéma français face aux genres (AFRHC, 2005), Les Peurs de Hollywood (Antipodes, 2006) et France at the Flicks. Trends in Contemporary French Popular Cinema (Cambridge Scholars Publishing, 2007). Vous avez été rapidement élu maître de conférences à l’université de Poitiers dans le département Arts du spectacle avant de quitter ce poste en 2012. S’agissait-il d’une démission ?

J’ai pris la décision de démissionner en vingt-quatre heures. J’étais heureux à l’université de Poitiers, j’aimais beaucoup enseigner. Mais je commençais à avoir trop de vies à la fois : en 2012, j’étais devenu écrivain, réalisateur, scénariste, professeur, chercheur… et jeune père. J’allais forcément négliger l’une ou l’autre de ces identités, et j’ai senti que c’était ma vie de chercheur qui allait pâtir de cette suractivité. Déjà, après ma thèse, je ne faisais plus autant d’efforts pour lire ce qui s’écrivait dans ma discipline, participer à des colloques, rédiger les meilleurs articles possibles. J’aurais pu faire un chercheur correct, mais pas plus. Or il y a peu de postes de maîtres de conférences, et beaucoup de candidats qui mériteraient d’en occuper un. Jouir de ce privilège sans le mériter complètement me mettait de plus en plus mal à l’aise. Un jour, pour concilier ma charge d’enseignement et la postproduction d’un documentaire, j’ai demandé à ma directrice de département un aménagement de mon emploi du temps semestriel, ce qui était une forme de passe-droit. Elle me l’a refusé et je me suis dit qu’elle avait raison. Mes aspirations n’étaient plus conciliables. Le lendemain, j’ai écrit à mes collègues pour leur annoncer que je démissionnais. Brûler mes vaisseaux, c’était libérateur : je ne pouvais plus vivre que de mes histoires. Je ne l’ai jamais regretté.

Vous êtes maintenant principalement cinéaste et écrivain (neuf livres). Votre dernier film, déjà cité, Un bon début est un documentaire (2021, 1h 40), le deuxième documentaire avec votre sœur Agnès après Le TerrainUn bon début a pour sujet une classe « réparatoire » de quinze adolescents, elle située à Grenoble. Elle a pour nom Starter. Comment le film a-t-il été reçu ? 

L’accueil a dépassé nos espérances. Quand vous sortez un documentaire dans les salles de cinéma, vous vous attendez à ce qu’il ait une vie très confidentielle. Mais ce film-là a eu une large place dans la presse, sans doute parce qu’il parle d’une expérience que nous avons tous connue : celle de croiser, un jour, la route d’un enseignant extraordinaire. Depuis sa sortie il y a six mois, il ne cesse d’être programmé un peu partout en France et je sais qu’il a été vu par de nombreux responsables politiques. Je doute qu’un film puisse à lui seul changer les choses mais peut-être pourra-t-il contribuer, à sa modeste échelle, à la réflexion sur ce que devrait être la scolarisation des enfants vulnérables. Ces enfants, « sauvageons », « mauvaises graines », « bordéliseurs », on en parle beaucoup mais on les voit trop peu.

Avez-vous envie d’évoquer des projets en cours ? 

Le tournage d’une série pour Canal Plus que j’ai co-écrite a commencé au début du mois d’avril. Un jour, au tout début du confinement, j’ai reçu un appel d’un auteur que je ne connaissais pas et qui me proposait d’écrire avec lui cette série, Les Sentinelles, adaptation d’une bande dessinée du même nom. Trois ans plus tard, nous y sommes presque ! C’est un travail de très longue haleine. Les Sentinelles racontent la Première guerre mondiale par le biais du genre fantastique. J’ai donc pu y mettre beaucoup de choses que j’aime.

Auriez-vous un conseil à donner aux étudiantes et étudiants de l’École ?

Je leur dirais d’essayer de profiter davantage de l’École que je n’ai pu le faire. J’étais trop replié sur ma vie existante, je n’ai fréquenté ni les syndicats, ni les troupes de théâtre, ni les cours optionnels (de langue, par exemple). Je crois qu’il y avait davantage à vivre.

Propos de Xabi Molia (1997 L FC)
recueillis par Christine de Buzon (1971 L FT), 2 mai 2023


Première publication de cet entretien : Bulletin  de l'association des élèves et anciens élèves des Écoles normales supérieures de Lyon, Fontenay-aux-Roses et Saint-Cloud, n°1, juin 2023, p. 33-35.