Témoignage de Roland Charrière

Promotion 1967, Lettres, Saint-Cloud


Ce texte a été rédigé en réponse à des questions de Michel Jamet (67 L SC) posées à des anciens élèves de l’ENS de Saint-Cloud en 2019 (voir Bulletin 2019-2 p. 35).


Cher Camarade et Ami,

J’ai bien reçu ta demande, via l’association des Anciens, et je me fais un plaisir de te répondre. Je crains toutefois de ne pas pouvoir apporter beaucoup d’eau à ton moulin ; si mes souvenirs sont assez précis, ils sont en revanche peu nombreux en ce qui concerne les questions que tu soulèves.

Comme toi, j’ai intégré en 1967. J’étais un des trois germanistes de la promotion et j’ai résidé à l’École durant toute l’année 1967-68.

Pour répondre dans le désordre à tes questions, je dois dire que j’ai été relativement peu affecté par les événements de mai 68. Jusqu’en mars, l’atmosphère était studieuse. Certes, les étudiants communistes étaient très actifs, de même que les « maos » selon l’expression employée alors, mais le tout sans violence ; c’était plus une querelle de tracts et d’affichage. Je me souviens qu’un jour, démarché par un camarade maoïste plus ancien (et dont j’ai oublié le nom, sinon qu’il était d’origine bretonne… ), je lui ai fait part de mon manque d’intérêt ; on en est resté là. Je n’ai aucun souvenir précis d’activités syndicales, ni de cercle religieux (je savais qu’il y avait des talas) et ne me sentais aucune affinité avec l’un quelconque des mouvements de pensée présents à l’École.

Jusqu’en mars environ, l’un des trois germanistes que nous étions allait à tour de rôle à Nanterre suivre, d’une part (par intérêt pour la matière), le cours de philologie allemande de Maurice Colleville et d’autre part, épisodiquement, celui du doyen Pierre Grappin, « pour voir où il en était ». À ma connaissance, aucun normalien n’a participé au mouvement du 22 mars. J’ai assisté un jour à une AG à Nanterre, mais le souvenir que j’en ai gardé est celui d’un durable et immense brouhaha… Un jour de mai, j’ai participé à un des premiers cortèges au Quartier latin, mais à titre purement personnel et sans doute plus par curiosité que par conviction. Par la suite, la désorganisation des transports et le manque de carburant ne facilitaient pas les déplacements jusqu’au cœur de la capitale.

Je n’ai aucun souvenir d’une quelconque réaction de la direction de l’École, ni d’une remise en cause des CPGE, du concours ou des études, et encore moins de dégâts commis. Aucun des enseignants germanistes que j’ai eus n’a jamais manifesté son orientation politique. J’ai passé les deux années universitaires suivantes en Allemagne, au titre d’abord de l’année obligatoire à l’étranger pour les linguistes, puis de l’année facultative (sans traitement de l’ENS) en tant que lecteur à l’université de Ratisbonne. Je suis revenu à l’École en octobre 1970 pour préparer l’agrégation, mais je ne résidais pas à Pozzo.

Bref, si le printemps 1968 a été agité, il n’a guère eu pour moi de conséquences directes (sauf, vue par le petit bout de la lorgnette, la licence accordée sans examens – et sans mention !) ni même à moyen terme (pour la préparation de l’agrégation). Ce n’est que plus tard que je me suis rendu compte à la fois du bouleversement largement positif qu’il a initié dans la société et, à mon humble niveau personnel, des défauts et lacunes de l’enseignement de l’allemand (sans remettre en cause l’excellence de mes professeurs) tel qu’il était pratiqué - et le demeure en partie aujourd’hui… C’est pourquoi, en partie, mai 1968 m’a conduit à faire carrière en dehors de France, en Allemagne d’abord, puis à l’international, auprès de la Commission européenne.

Roland CHARRIÈRE (67 L SC)


Ce témoignage a été initialement publié dans le Bulletin de l’Association des élèves et anciens élèves des ENS de Lyon, Fontenay, Saint-Cloud, 2020, n°2.